« L’augmentation récente du phénomène d’allers-retours [public-privé] n’est, du reste, que la conséquence de l’une des promesses centrales du candidat Emmanuel Macron en 2017 », à savoir l’ouverture à la société civile. Ces mots sont ceux de Cédric O dans une tribune publiée par Le Monde. Cet ancien secrétaire d’État au Numérique écrivait ses lignes en janvier 2023, date à laquelle il recevait son second refus de la HATVP (Haute autorité pour la transparence de la vie publique) pour rejoindre le conseil d’administration d’Atos. La raison ? Les subventions que cette entreprise s’était vu attribuer lorsqu’il était en poste au gouvernement.
Malgré un recours devant le Conseil d’État, Cédric O n’obtiendra pas gain de cause. Mais que l’on ne s’inquiète pas trop pour lui, car dans le même temps la HATVP a donné son feu vert sous condition à son projet de créer une société de « conseil » - à l’image de la grande majorité de ses ex collègues ayant quitté le gouvernement (lire notre enquête Sociétés de « conseil » : le très discret business des anciens ministres d’Emmanuel Macron).
Ces sociétés de conseil sont un bon moyen de relâcher la surveillance du gendarme de la transparence. C’est à travers sa nouvelle société que Julien Denormandie a rejoint le fonds d’investissement Raise, sans devoir passer devant la HATVP (lire notre article).
C’est aussi par le biais de sa société de conseil, semble-t-il [1] que Cédric O est devenu en mai 2023 co-fondateur non-exécutif et conseiller de Mistral AI, startup de l’intelligence artificielle (IA). Celle-ci est pourtant, comme Atos, bénéficiaire d’argent public, à travers Bpifrance.
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À cette nouvelle casquette privée, dopée aux fonds publics, s’ajoute une nouvelle casquette publique puisque depuis septembre 2023, il est également membre du Comité de l’intelligence artificielle générative auprès de la Première Ministre. Récemment, il a annoncé rejoindre Artefact, cabinet de conseil spécialisé sur plusieurs enjeux dont l’accélération de l’adoption de l’IA en entreprise [2].
On peut reconnaître à Cédric O d’assumer publiquement la porosité entre public et privé, et de faire preuve de davantage de transparence que ses ex collègues. Contrairement à ces derniers, qui s’abritent derrière une clause du code du commerce pour ne pas publier les comptes annuels de leur société de conseil (ni évidemment leurs clients), Cédric O l’a fait. On sait donc que sa société de conseil a engendré 95 000 euros de revenus sur 6 mois en 2022.
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Cela n’enlève cependant rien au mélange des genres. D’autant plus que, contrairement à ce qu’il suggérait dans sa tribune au Monde en invoquant la promesse macronienne de l’ouverture à la société civile, et comme l’Observatoire des multinationales l’a montré tout au long de ses enquêtes sur les « portes tournantes », l’immense majorité des reconversions de responsables publics dans le secteur privé et inversement ne concerne pas du tout « la vraie vie » ni « l’économie réelle », mais des postes de lobbying et d’affaires publiques. Son propre cas en fournit une nouvelle illustration.
Conseils intéressés
« Les investisseurs attendent de voir quelles seront les conséquences de l’IA Act (future législation européenne sur l’intelligence artificielle). S’ils estiment qu’il empêche de créer des champions de rang mondial, alors ils investiront dans des entreprises américaines. » Ces mots prononcés par Cédric O en octobre 2023 sont-ils ceux de Mistral AI, Artefact ou de l’ancien collègue et actuel membre du comité chargé de conseiller Elisabeth Borne ?
Cédric O. n’a pas juste changé sa casquette mais également de discours. Car en 2022, il osait demander un cadre législatif différent en Europe sur l’intelligence artificielle, affirmant à New York : « Nous avons besoin de plus de réglementation. Si le prix a payé est d’avoir un cadre différent aux États-Unis et dans l’Union Européenne, alors nous le paierons »
Que ce soit sur l’IA Act ou sur les portes tournantes, le discours de Cédric O est aujourd’hui assez similaire : « ne pas pêcher par excès de régulation ». Mais au nom de qui et de quoi parle-t-il ? Et « l’intelligence » qu’il prétend ainsi apporter au débat public et à la Première ministre sur l’AI n’est-elle pas elle-même très artificielle ?
Lora Verheecke, avec Olivier Petitjean
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Photo © École polytechnique - J.Barande - licence cc by-sa