La part du plan de relance dévolue au secteur de la santé n’était déjà pas très grande : 6 milliards d’euros pour le Ségur de la santé, auxquels s’ajoutent quelques millions par ci par là dans des programmes budgétaires distincts. Un peu moins de 200 millions étaient ainsi prévus dans la mission budgétaire « Plan de relance » pour créer 16 000 places dans les instituts de formation des métiers du soin. S’y ajoutaient des investissements dans le cadre du 4e Programme d’investissements d’avenir (PIA4) dont le montant demeure inconnu. Peu d’investissements annoncés donc…. Et extrêmement peu d’argent investi après trois ans de déploiement.
Des enveloppes sous-calibrées
Du 25 mai au 10 juillet 2020, le Premier ministre Edouard Philippe, le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran et les représentants syndicaux et professionnels du monde de la santé se réunissent dans le cadre d’une grande consultation visant à répondre aux difficultés hospitalières révélées par la crise sanitaire. Quelques jours plus tard, les accords du « Ségur de la santé » sont signés. Le gouvernement s’y engage notamment à verser 8,2 milliards d’euros par an pour revaloriser les métiers des établissements de santé et des Ehpad et 19 milliards d’euros d’ici 2026 pour investir dans le système de santé, améliorer la prise en charge des patients et le quotidien des soignants (rénovations, ouvertures/réouvertures de lits, transition écologique). Sur ces 19 milliards, 6 seront finalement pris en charge par le plan de relance.
Ces financements sont censés répondre à trois objectifs distincts. La plus grosse enveloppe, de 2,5 milliards d’euros, est destinée au fonctionnement quotidien des services hospitaliers et à la transformation du système de santé, notamment pour des actions de rénovation, de construction et pour développer la médecine ambulatoire. Pour les établissements médico-sociaux, en particulier les Ehpad, 1,5 milliards doivent être investis pour des projets de rénovation, d’équipement et de création de places. Les 2 milliards restants doivent permettre d’encourager la numérisation des outils de santé, notamment avec le lancement en janvier 2022 de l’Espace numérique de santé (ENS). Ce dernier outil permet aux médecins d’accéder rapidement à l’historique médical de leurs patients, ce qui évite de prescrire des examens inutiles ou redondants et facilite les diagnostics. Ces fonds sont pris en charge par le plan de relance européen NextGenerationEU, dont les paiements peuvent s’échelonner jusqu’en 2026. En 2023, la France avait reçu un peu plus de 3,8 milliards de subventions européennes pour ce volet Ségur, qu’elle a directement reversés à la Sécurité sociale.
Rapportés aux 2,5 milliards de sous-investissement constatés entre 2009 et 2019, les 6 milliards d’investissement prévus dans le cadre du volet Ségur du plan de relance semblent bien faibles.
Le Ségur visait à compenser un sous-investissement chronique dans le secteur de la santé. En 2009, 6,7 milliards d’euros avaient été investis dans les hôpitaux publics, soit un taux d’investissement de 10,9 % par rapport aux recettes des établissements. Les dix années qui ont suivi, ce chiffre n’a cessé de diminuer, pour atteindre 3,8 milliards d’euros en 2019, soit 4,7 % des recettes, d’après les données de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). En cumulé sur 10 ans, cela représente plus de 20 milliards d’euros d’investissements non réalisés. Rapportés à ces chiffres, les 2,5 milliards d’investissement prévus pour l’hôpital dans le cadre du volet Ségur du plan de relance semblent bien faibles.
Pour Laurence Hartmann, maître de conférence au Conservatoire national des arts et métiers en économie de la santé, ce sous-investissement est étroitement lié à l’introduction en 2004 de la tarification à l’activité. Avec ce mode de financement, les établissements de santé reçoivent un paiement de l’Assurance maladie pour chacune des prestations fournies, en fonction d’une grille tarifaire établie par type de pathologie. Tous ces versements doivent respecter l’Ondam (l’objectif national de dépenses d’assurance maladie) voté chaque année par le Parlement et qui fixe un montant à ne pas dépasser. « La tarification à l’activité, telle qu’elle a été mise en place, répondait à une logique totalement budgétaire et déconnectée de la réalité hospitalière, analyse Laurence Hartmann. Les tarifs n’étaient pas fixés en cohérence avec les coûts réels et ils ont été baissés par la suite pour respecter l’enveloppe de l’Ondam. Les directeurs d’hôpitaux se sont retrouvés avec des déficits budgétaires chroniques, qu’ils ont essayé de combler en traitant plus de patients, en recherchant plus de productivité… et en réduisant leurs investissements. Ce qui a conduit à la dégradation hospitalière que l’on connaît aujourd’hui. » Pour l’économiste de la santé, les investissements prévus dans le cadre du plan de relance sont essentiels, mais leurs effets risquent d’être limités si la tarification à l’activité n’est pas rénovée, notamment pour prendre en compte la qualité des soins et fixer des tarifs plus cohérents.
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Faites un donDu côté des Ehpad, la situation est tout aussi problématique. En mars 2019, le rapport « Grand âge et autonomie » remis par le président du Haut Conseil du financement de la protection sociale de l’époque, Dominique Libault, alertait sur la vétusté du parc immobilier des Ehpad. Un quart de l’offre n’avait pas connu de rénovation depuis plus de 25 ans, ce qui représentait un besoin d’investissement de 15 milliards d’euros sur dix ans. Là encore, les 1,5 milliards prévus dans le plan de relance jusqu’en 2024 paraissent sous-calibrés.
Retards dans les investissements
Au 31 mars 2023, près de 1700 établissements de santé avaient reçu au moins un versement au titre de la dotation « investissements du quotidien », pour un total de 395 millions d’euros, contre 1,5 milliard prévu. D’après le projet de loi de finances de la Sécurité sociale pour 2024, les investissements courants ont augmenté de 13 % en volume en 2021 et le taux de vétusté des équipements s’est infléchi pour la première fois depuis 2013. En ce qui concerne les investissements dits « structurants », supérieurs à 20 millions d’euros, aucune information sur les montants investis n’est disponible.
Le comité d’évaluation du plan de relance ne s’est pas spécifiquement penché sur les investissements dans la santé.
Un peu plus de 3000 places ont été construites ou rénovées dans les Ehpad à fin 2022, d’après le document d’exécution budgétaire relatif à cette année. On ne connaît cependant pas le montant investi pour cette mesure. Le plan de relance s’était fixé une cible de 36 000 places d’ici 2026, un objectif finalement rabaissé à 32 200 lors d’une réunion du conseil « affaires économiques et financières » de la Commission européenne, le 14 juillet 2023, « pour prendre en compte les réalités économiques nouvelles depuis l’adoption du plan initial en 2021 », entre autres « le contexte inflationniste lié au conflit russo-ukrainien » et « la désorganisation de la chaîne de production ».
Le comité d’évaluation du plan de relance ne s’est pas spécifiquement penché sur les investissements dans la santé. Contacté, il nous a indiqué qu’il n’avait pas reçu de données précises concernant les montants dépensés dans le cadre du Ségur, mais nous a précisé que les investissements avaient pris du retard et que les projets n’avaient quasi pas été déployés.
Des dépenses disséminées
Pour faire face à la pénurie de médecins et de professionnels de santé, le programme budgétaire « Plan de relance » prévoyait de consacrer 183 millions d’euros pour créer 16 000 places supplémentaires dans les formations sanitaires et sociales. Avec 152 millions d’euros d’investissements réalisés, ces places ont bel et bien été créées, d’après les statistiques de la Drees. En 2020, environ 135 000 places étaient financées dans les formations en santé, 53 000 dans celles du social. Elles étaient respectivement 150 000 et 55 000 en 2022, soit 18 000 places supplémentaires financées au total. Mais la même année, plus de 4000 étudiants dans les formations du social interrompaient leur cursus, et 13 600 dans le secteur de la santé.
Les étudiants sont éprouvés par leurs stages, par la réalité du quotidien, ils sont parfois livrés à eux mêmes, ce qui conduit à une qualité de vie très dégradée. Sans parler des salaires, qui ne sont pas du tout attractifs.
« Le taux d’abandon dans ces formations a grandement augmenté, entre 15 à 20 % des étudiants interrompent leurs études aujourd’hui, relève Laurence Hartmann. Alors que les métiers de la santé sont les plus demandés sur Parcoursup, nous n’arrivons pas à former le personnel prévu en termes d’ouverture de places. Les étudiants sont éprouvés par leurs stages, par la réalité du quotidien, ils sont parfois livrés à eux mêmes, ce qui conduit à une qualité de vie très dégradée. Sans parler des salaires, qui ne sont pas du tout attractifs. » D’après le dernier panorama de la santé de l’OCDE, la rémunération des infirmiers en France en 2021 se situe au niveau du salaire moyen du pays. Au Chili, au Costa Rica et au Mexique, en tête du classement, la rémunération des infirmiers est au moins 70 % supérieure au salaire moyen. La France se situe à la 29e place sur 35 dans ce classement.
La santé est également présente au sein du 4e Programme d’investissement d’avenir (PIA4) en tant que « secteur stratégique », avec les technologies numériques, la culture, l’éducation, ou encore les capacités industrielles. Le PIA4 est censé encourager les innovations dans ces différents domaines, en soutenant des entreprises, des laboratoires et des collectivités. Pour la santé, il a pour objectif d’accélérer le développement de marchés clés tels que la bioproduction ou la santé digitale.
Problème : on ne sait ni quels sont les montants initialement prévus pour chacun de ces domaines, ni ce qui a été effectivement dépensé. « France relance constitue une réelle opportunité, reconnaît Frédéric Bizard, économiste de la santé et président-fondateur d’Institut Santé, un centre de recherche dédié à la refondation du système de santé français. Est-ce qu’on est en train de la saisir de la bonne façon ? J’aimerais disposer d’éléments pour le dire. Ces milliards d’argent public constituent les graines de l’investissement, mais ils ne seront pas suffisants pour amorcer une transition globale, écologique, numérique, épidémiologique et démographique. Aujourd’hui, il n’y a encore aucune stratégie de santé, et aucun pilote dans l’avion. »
À la crise majeure du secteur de la santé, le plan de relance n’apporte que des réponses parcellaires et limitées. La réponse structurelle et valable sur le temps long, elle, se fait toujours attendre.
Pauline Gensel