18.03.2014 • Veolia à Nagpur

À l’approche des élections indiennes, le coût de la privatisation de l’eau en débat

Avec les élections générales à l’horizon et l’irruption sur la scène politique du nouveau parti anti-corruption Aam Aadmi, la privatisation de l’eau devient un enjeu politique de premier plan en Inde. Pendant ce temps, le partenariat public privé (PPP) conclu entre Veolia et la ville de Nagpur - prématurément présenté par l’entreprise comme un succès et comme le premier pas dans sa conquête du marché indien de l’eau - semble continuer à accumuler les problèmes. La presse et les élus d’opposition dénoncent aujourd’hui une explosion du budget de l’opération.

Publié le 18 mars 2014 , par Olivier Petitjean

Le Times of India a enquêté sur les données budgétaires du partenariat public privé (PPP) entre Veolia (via sa filiale à 51% Orange City Water) et la municipalité de Nagpur.

Le principal quotidien indien affirme que le budget total prévu pour l’opération a été secrètement augmenté de près de 50% depuis plusieurs mois, et pourrait l’être encore davantage à mesure que les travaux continuent. Selon les données officielles, au 31 janvier 2014, seulement un peu plus de 36% des travaux prévus étaient effectués, alors qu’ils devaient - du moins selon certaines parties prenantes - être achevés en mars 2014. (Veolia a toujours contesté la validité de cette date limite, faisant valoir que son contrat prévoit des travaux sur cinq ans.)

Un fonctionnaire de la municipalité explique les délais dans les travaux par le « manque de coopération » des habitants de Nagpur, qui rechigneraient à être connectés au réseau par peur de voir leur facture d’eau exploser !

Selon le Times of India, le gouvernement central indien n’est théoriquement pas en mesure de couvrir financièrement les dépassements budgétaires, ce qui signifie que ce sera soit la municipalité de Nagpur, soit l’opérateur privé qui devront en supporter les frais. Un porte-parole d’Orange City Water aurait déclaré au Times of India que « les citoyens n’ont rien à craindre » et que l’entreprise prendra en charge tous les surcoûts. D’autres sources internes à la municipalité suggèrent que le prestataire privé cherchera à rentrer dans ses frais par d’autres moyens (charges financières supplémentaires à la municipalité, hausse des tarifs) : « Après tout, aucune compagnie privée n’investira dans des services publics sans s’assurer un taux défini de retour sur investissement. »

En réponse à nos questions, Veolia déclare ne pas savoir à quoi correspondent les chiffres avancés par le Times of India. L’entreprise française indique que le budget des travaux prévus dans le cadre du PPP est indexé contractuellement à l’inflation [1], et précise qu’aucune clause du contrat ne prévoit explicitement que la « révision du montant des travaux [soit] corrélée avec les tarifs de l’eau ».

Sur la privatisation de l’eau en Inde en général et le contrat de PPP de Veolia à Nagour en particulier, lire l’enquête de l’Observatoire des multinationales d’octobre 2013 : Veolia en Inde : le retour des vieux démons ?.

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Les élections générales en ligne de mire

Les prochaines élections générales indiennes doivent se tenir sur plusieurs semaines en avril-mai prochain. L’enjeu de la privatisation de l’eau n’est pas absent de ce scrutin, puisqu’il constitue l’un des principaux chevaux de bataille du nouveau parti anti-corruption Aam Aadmi. Celui-ci pourrait venir bouleverser le paysage politique indien, comme il l’a fait il y a quelques semaines dans la ville-État de Delhi.

Son leader Arvind Kejriwal avait occupé le poste de gouverneur de Delhi pendant quelques dizaines de jours, avant de démissionner suite au refus du parlement local (où Aam Aadmi ne dispose pas d’une majorité absolue) de valider son projet de loi emblématique contre la corruption. Les quelques semaines passées au pouvoir par Kejriwal ont été marquées par de nombreuses controverses et par des mesures emblématiques sur le service public de l’eau : l’instauration d’un quota d’eau gratuite pour les habitants ; la volonté de démantèlement de la « mafia de l’eau » de Delhi (les opérateurs privés de camions-citernes qui marchandent leur service au prix fort et n’hésitent pas à recourir à l’intimidation) ; et le lancement d’une enquête préliminaire sur l’administration de l’eau de Delhi et les projets pilotes de PPP conclus dans la métropole (dont certains concernent Veolia et Suez) [2].

Le favori actuel pour devenir Premier ministre est Narendra Modi, leader du parti nationaliste hindou et ’pro-business’ BJP (au pouvoir dans la ville de Nagpur), plutôt favorable aux PPP et à la privatisation de l’eau. L’ancien président du BJP Nitin Gadkari, natif de Nagpur, a d’ailleurs joué un rôle moteur dans la signature du contrat avec Veolia et entretient des relations très étroites avec l’entreprise indienne à laquelle la firme française est associée dans le cadre d’une joint-venture à Nagpur [3].

Olivier Petitjean

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Source photo : Times of India

Notes

[1L’Inde a connu récemment une forte inflation, associée à une dépréciation de la roupie. Toutefois, l’enquête du Times of India suggère que l’augmentation du budget des travaux a été décidée il y a plusieurs mois.

[2Interrogée sur ces initiatives, Veolia indique qu’il n’est dans son rôle de se prononcer sur les initiatives prises par les autorités publiques, particulièrement dans un contexte électoral où la question de l’eau peut être utilisée pour déstabiliser les autres candidats. L’entreprise déclare tout de même saluer « toutes les mesures qui peuvent favoriser l’accès à l’eau pour tous ».

[3Source : India Today.

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