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21.06.2016 • Eau et assainissement

Dans la plus grande ville d’Équateur, les populations pauvres dénoncent les promesses non tenues de Veolia

À Guayaquil, principale ville de l’Équateur, les populations des quartiers pauvres souffrent de la pollution des eaux liée aux insuffisances de l’assainissement, qui affecte leur santé et leur environnement. Une situation qui reflète de profondes inégalités sociales et politiques, et que la privatisation du service de l’eau en 2001 – au profit du géant français Veolia – n’a rien fait pour améliorer.

Publié le 21 juin 2016 , par Olivier Petitjean

Guayaquil est la ville la plus peuplée de l’Équateur, avec près de 3 millions d’habitants. C’est aussi la capitale économique du pays : elle abrite notamment le plus important port de la côte Pacifique de l’Amérique du sud. Un morceau de choix pour Veolia, le géant français de l’eau. Une de ses filiales, appelée Interagua, y assure la gestion du service de l’eau et de l’assainissement depuis 2001. Ce contrat de privatisation a toujours été, depuis lors, l’objet de controverses. Aujourd’hui, ce sont les quartiers pauvres de la ville qui sont en révolte ouverte contre le prestataire privé Veolia et les autorités municipales, en les accusant d’ignorer leurs besoins et, pire encore, de laisser se déverser chez eaux les eaux usées issues des quartiers riches.

La métropole de Guayaquil s’étend jusqu’à un vaste estuaire, appelé l’Estero Salado. Sur les bords de ce dédale de cours d’eau, qui abritent une précieuse biodiversité, se sont installés des quartiers pauvres et des zones d’habitat informel. Les populations démunies qui habitent les lieux n’ont guère constaté d’amélioration de leur situation depuis l’avènement de la gestion privée. L’accès à l’eau et à l’assainissement y reste lacunaire. Et surtout, ils subissent au quotidien les conséquences du déversement d’eaux usées non traitées dans leur environnement.

81% des échantillons d’eau contaminés

Selon les chiffres cités par la presse, l’estuaire recevrait tous les jours 44 millions de litres de ces eaux usées non traitées, en raison du déversement provenant de canalisations non raccordées au réseau ou de l’absence de systèmes d’assainissement chez les populations riveraines. Des tests effectués par le ministère équatorien de l’Environnement ont révélé la présence de coliformes fécaux – signe de la présence d’eaux usées domestiques non traitées – dans 81% des échantillons, parfois à des doses extrêmement élevées et donc dangereuses pour la santé humaine. La présence d’eaux usées non traitées dans l’eau accroît les risques de contracter des maladies infectieuses, pouvant allant de diarrhées plus ou moins graves à des pathologies comme le choléra ou l’hépatite. Selon des témoignages recueillis par le Guardian, le simple fait de se baigner dans les eaux de l’estuaire pendant quelques minutes suffit parfois à entraîner des affections aigues de la peau. Cette pollution affecte aussi les espèces animales qui vivent dans cet écosystème fragile.

D’emblée, le contrat de privatisation conclu entre Guayquil et Interagua, sous l’égide de la Banque mondiale, a créé la controverse : à plusieurs reprises, des voix se sont élevées pour dénoncer l’insuffisance de la gestion de Veolia et les profits excessifs réalisés par le prestataire, et pour demander qu’il soit mis fin au contrat de privatisation. Une étude réalisée il y a quelques années comparant le service de l’eau dans la capitale Quito (où il est sous gestion publique) et à Guayaquil concluait nettement en faveur du premier.

Inégalités sociales

Les riverains de l’Estero Salado – qui se plaignent également d’être facturés par Veolia pour des services d’assainissement, sans en bénéficier - ont profité de la journée mondiale de l’eau, le 22 mars dernier, pour interpeller une nouvelle fois Veolia et les autorités de la ville. Ils ont reçu le soutien du gouvernement du président Rafael Correa (le maire de Guayaquil, Jaime Nebot, accusé de complaisance avec Veolia, appartient à un parti d’opposition de centre-droit). Suite à ses tests, le ministre de l’Environnement a annoncé qu’il initierait des poursuites contre la filiale de Veolia pour ses rejets d’eaux usées dans l’estuaire ainsi que pour la destruction délibérée de mangroves dans l’estuaire. Outre leur rôle d’habitat pour de nombreuses espèces, ces mangroves fournissaient pourtant une protection précieuse des côtes contre les eaux. Selon le Guardian, le Ministère aurait aussi mandaté une enquête pour savoir si la municipalité de Guayaquil avait la compétence pour privatiser son service d’eau en 2001.

L’une des sources de ces problèmes est l’absence de reconnaissance des zones d’habitat informel où vivent les populations les plus pauvres. Dénuées de droits de propriété, elles ne sont pas « comptées » parmi les bénéficiaires du service – ce qui permet à Veolia d’afficher un taux de connexion à l’eau potable de 100% et de presque 100% pour l’assainissement... Une situation typique de nombreux pays du Sud, marqués par de fortes inégalités sociales, où les réseaux d’eau et d’assainissement bénéficient prioritairement aux plus favorisés. L’un des arguments avancés par les promoteurs de la privatisation de l’eau dans les pays du Sud était justement que le secteur privé serait capable de corriger ces inégalités d’accès. La situation actuelle de l’Estero Salado est une illustration éclatante de l’échec de ces prétentions.

La Banque mondiale et la Banque européenne d’investissement ont néanmoins accordé il y a quelques mois un nouveau prêt de 205 millions de dollars à Veolia pour dépolluer l’estuaire et connecter davantage de foyers au réseau d’assainissement. Mais sans changement dans la manière de concevoir et gérer le service, pour s’attaquer aux causes sociales structurelles qui expliquent la situation des populations de l’Estero Salado, on peut se poser des questions sur la pertinence de continuer à verser des millions aux opérateurs privés. Interrogé par le Guardian, César Cárdenas, président de l’Observatoire citoyen des services publics de Guayaquil, se montre peu convaincu : « Ce prêt de la Banque mondiale devrait être une planche de salut pour les gens qui vivent autour de l’estuaire et sa biodiversité fragile. Mais sans pression internationale, il a de fortes chances de devenir un nouvel exercice de relations publiques pour le maire Jaime Nebot, aux dépens des populations locales, sans véritable résultat concret. »

Les habitants de l’Estero Salado et leurs soutiens font circuler une pétition en ligne pour soutenir leur lutte : https://www.change.org/p/interagua-veolia-provide-drinking-water-and-a-sewage-system-for-estero-salado-guayaquil

Olivier Petitjean

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Photos : Agencia de noticias ANDES CC

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