C’est comme une survivance du passé, le vestige d’une époque qu’on croyait révolue. Suez environnement, le géant français de l’eau, s’accrochait encore, contre vents et marées, à sa concession de Jakarta - le dernier rescapé des grands contrats de privatisation obtenus lors de la courte euphorie privatisatrice des années 1990.
Du moins jusqu’à aujourd’hui. En effet, le 5 juin 2013, le gouverneur de Jakarta, Joko Widodo, a profité de la visite de la ministre française du Commerce extérieur Nicole Bricq (pourtant venue vanter les mérites des entreprises françaises !) pour annoncer que son administration voulait racheter les parts de Suez environnement dans sa filiale locale Palyja. Il a également suggéré que si la firme française rejetait son offre, il se réservait le droit de procéder à cette « dé-privatisation » de manière plus unilatérale.
L’annonce consacre le succès des militants anti-privatisation qui mènent depuis des années une campagne tous azimuts pour obtenir le départ de Suez. Il faut dire que le bilan de quinze années de présence de la multinationale française paraît plutôt contestable.
Le dernier bastion du paradigme privatisateur des années 1990
Le contrat de concession de l’eau de Jakarta a été signé en 1997, dans les derniers mois de la dictature de Suharto, dans des conditions particulièrement opaques, sans consultation ni appel d’offres public. Certains documents seraient encore tenus secret à ce jour [1]. Le Consortium international des journalistes d’investigation (aujourd’hui à l’origine des « Offshore Leaks », révélations sur le système global des paradis fiscaux) a publié en 2003 une enquête approfondie sur les conditions de cette privatisation et sur les manœuvres de Thames Water et de Suez environnement pour obtenir ce contrat prometteur.
Malgré une forte résistance bureaucratique, les deux multinationales finirent par obtenir gain de cause, dans des conditions d’autant plus avantageuses qu’elles avaient pris soin de s’associer à des parents et des proches de Suharto. La concession fut divisée en deux, la moitié Ouest pour Suez et l’Est pour Thames Water. PAM Jaya, l’ancien opérateur public, fut maintenu dans un rôle très réduit.
Les années 1980 et 1990 avaient été une période faste pour les géants français de l’eau Veolia (à l’époque Vivendi) et Suez. Au regard des problèmes rencontrés par de nombreux gouvernements du Sud pour assurer un service public de l’eau digne de ce nom, et dans un contexte d’essor idéologique du néolibéralisme, la privatisation avait le vent en poupe. Et ce d’autant plus que la gestion privée de l’eau demeurait très rare dans le monde (à part en France) et n’avait pas donc véritablement subi l’épreuve des faits.
Avec le soutien de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de la diplomatie française, ces multinationales ont alors mené une politique volontariste d’expansion, multipliant les nouveaux contrats, notamment dans les villes du Sud. Plus encore que Veolia, Suez aura été le grand bénéficiaire de cette période, acquérant des positions dans de grandes métropoles comme Manille, Buenos Aires, La Paz-El Alto, Atlanta ou Jakarta.
L’euphorie aura toutefois été de courte durée. Conclus dans la précipitation et souvent dans des conditions douteuses, les contrats de privatisations conclus au cours de ces années ont très mal résisté à la réalité du terrain. Scandales et échecs retentissants se sont succédés, dans un contexte rendu plus difficile encore par les crises financières asiatique et latino-américaine. Les conditions favorables obtenues par les multinationales ont provoqué un violent retour de bâton de la part des politiques et des citoyens. Il s’est rapidement avéré, en outre, que le modèle commercial sur lesquelles s’étaient construites ces firmes n’était pas adapté à la réalité de la pauvreté urbaine dans les métropoles du Sud. À partir de 2003, Suez et ses concurrentes ont dû abandonner bon gré mal gré une grande partie de leurs positions.
Cependant, malgré des problèmes et des résistances comparables à celles qu’elle avait rencontrées ailleurs, la multinationale française avait réussi à se maintenir dans la capitale indonésienne. De son côté, Thames Water a revendu en 2007 ses intérêts dans Aetra, gestionnaire de la moitié Est, à Acuatico, un consortium de Singapour.
Quelques mois à peine après le passage sous contrôle privé, au moment des émeutes populaires qui mirent fin à la dictature de Suharto, le service de l’eau a même connu une brève période de retour dans le giron public. Les responsables locaux de Suez et de Thames Water s’étaient empressés de fuir le pays sans prévenir personne. Les stocks de produits chimiques nécessaires à la potabilisation de l’eau étaient sur le point de s’épuiser. Les autorités transitoires ont alors décidé de reprendre contrôle du service. Cependant, dès le retour du calme, les deux multinationales assistées de leurs gouvernements respectifs ont obtenu la confirmation de leur contrat [2].
L’heure du départ a semblé enfin sonner pour Suez lorsque la multinationale française a fait savoir, fin 2012, qu’elle allait revendre ses 51% de parts dans Palyja à Manila Water - une firme constituée à l’époque de la privatisation de l’eau de Manille en 1997 et étroitement liée à la Banque mondiale [3].
Mais une simple revente de Palyja sans modification du contrat de privatisation ne faisait pas l’affaire des autorités politiques et administratives de Jakarta, dont l’approbation était nécessaire pour que la transactions ait lieu. La cession a donc été bloquée par le gouverneur, qui a fini par privilégier l’option du retour sous gestion publique.
Soutenez l’Observatoire
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com’ du CAC 40.
Faites un donExplosion du prix de l’eau et de la dette publique…
Le contrat signé en 1997 garantit en effet aux opérateurs privés des conditions particulièrement favorables, sans contrepartie en termes d’obligation de résultats ni même de droit de regard et de contrôle publics. Il est notamment basé sur un système de double paiement qui garantit à Palyja et à Aetra des revenus fixes, augmentant automatiquement tous les six mois, versés par PAM Jaya. À charge pour l’agence publique de collecter les factures d’eau pour rentrer dans ses frais – et d’assumer tous les risques politiques d’une hausse du prix de l’eau…
Au cours des premières années de la concession, les autorités ont essayé de tenir le rythme des paiements dûs aux opérateurs privés. Ces hausses successives font que le prix de l’eau de Jakarta est désormais le plus élevé de toutes les grandes villes asiatiques, comme ne manque pas de le souligner les critiques de la privatisation. Il est également trois fois supérieur à celui pratiqué dans les autres grandes villes indonésiennes comme Surabaya, Makassar ou Medan.
Dans la pratique, il s’est avéré très rapidement que les montants forfaitaires versés par PAM Jaya aux opérateurs étaient très supérieurs aux recettes effectivement perçues, et sans réel rapport avec la qualité du service. Le contrôleur financier de Jakarta a calculé en 2011 que le contrat assurait aux opérateurs privés un taux de profit garanti de 22%, et recommandé que ce taux soit abaissé à ... 14,8%.
En conséquence de ce système, les dettes de l’entité publique vis-à-vis des délégataires du service n’ont cessé de s’accumuler depuis 1998. En 2010 par exemple, PAM Jaya a comptabilisé 62 milliards de roupies de dette. Dans le même temps, Palyja affichait 216 milliards de roupies (25,27 millions de dollars US) de bénéfices. Selon une étude commanditée par PAM Jaya, si les contrats se poursuivaient jusqu’à leur échéance en 2022, la perte totale encourue par l’agence publique s’élèvera au final à pas moins de 1,9 milliard de dollars US, pris dans les poches des citoyens indonésiens
… mais stagnation du service
Une perspective d’autant plus difficile à accepter pour les autorités de Jakarta et les militants anti-privatisation que le bilan de Suez sur le terrain n’est pas des plus convaincants. Les objectifs de performance fixés initialement n’ont cessé d’être revus à la baisse, sans être atteints pour autant. Même en faisant la part des chiffres contradictoires et des incertitudes (qui sont d’ailleurs pour partie le résultat de l’opacité de la gestion privée), force est de constater que quinze ans après la privatisation, une grande partie des habitants de Jakarta n’a toujours pas accès à un réseau décent d’eau potable.
Dans la même enquête
Le taux d’accès évoqué officiellement par Palyja pour sa zone de gestion est de 65% en 2011, mais ce chiffre est contesté. L’entreprise le calcule en présupposant que les foyers raccordés regroupent en moyenne 7,6 personnes. Mais, dans un rapport sur les dix premières années du contrat de concession, l’autorité de régulation du service de l’eau estimait qu’il fallait plutôt compter 5 personnes par foyer, ce qui ramenait le taux de couverture pour 2007 de 62 à 43%, l’un des plus bas des grandes villes d’Asie [4]. De son côté, l’agence nationale indonésienne de statistiques a estimé en 2010 que le taux de connexion était seulement de 38%...
Il est également de notoriété publique que dans certains quartiers, l’eau ne coule que quelques heures par jour, et que sa qualité laisse souvent à désirer. Selon le même rapport de l’autorité de régulation, seuls 30% des foyers connectés au réseau public bénéficiaient en 2008 d’un approvisionnement continu.
Autre indicateur clé de l’état du réseau, le taux de perte et de fuites se maintient à des niveaux élevés : 37,8% selon la porte-parole de Palyja, plus de 50% selon les opposants et selon l’autorité publique de régulation. Il était d’environ 58% en 1998.
Palyja se justifie de ces mauvais chiffres en accusant le gouvernement de ne pas l’aider à lutter contre les connexions illégales, qui représentent selon l’entreprise 40% des pertes. Ces « vols d’eau » seraient parfois le fait de fonctionnaires haut placés, qui cherchent à revendre l’eau au prix fort à ceux qui n’y ont pas accès (un phénomène confirmé par les syndicats, qui ajoutent toutefois qu’il concerne également des cadres de Palyja et de PAM Jaya).
Une autre excuse fréquemment avancée est l’insuffisance des financements disponibles pour étendre le réseau, du fait que les autorités se refusent à augmenter encore le prix de l’eau (ce malgré le fait que les paiements versés à Palyja ne sont pas indexés sur le prix de l’eau).
Selon l’enquête de l’ICIJ, des améliorations ont certes été constatées après l’arrivée de Suez. Mais elles concernaient essentiellement les quartiers les plus riches de Jakarta ou les zones industrielles, où le modèle commercial de Suez – directement transplanté de France sans modification substantielle – était le moins difficile à répliquer. Pour les quartiers pauvres, en revanche, les objectifs en termes de nouvelles connexions n’ont jamais été atteints, même si là encore différents chiffres circulent. Une grande partie des efforts de connexion de nouveaux foyers pauvres semble avoir reposé sur des programmes spécifiques, financés de l’extérieur par l’aide au développement ou des démarches philanthropiques.
L’absence d’un réseau potable dans les quartiers pauvres de la métropole indonésienne entraîne avec lui toute une série de problèmes sanitaires et sociaux. Au mieux, les résidents doivent acheter des jerrycans d’eau au prix fort (et sans garantie de qualité) aux revendeurs informels, qui constituent à Jakarta comme ailleurs une véritable mafia. Au pire, ils doivent recourir à des solutions de fortune, en allant chercher leur eau dans des cours d’eau extrêmement pollués ou des puits artisanaux contaminés par les matières fécales et toutes sortes de substances toxiques. En conséquence, ces quartiers connaissent une mortalité infantile élevée [5], et même plusieurs centaines de cas de choléra chaque année. La multiplication des puits entraîne aussi des problèmes d’affaissement de terrain [6].
Les termes financiers du contrat de privatisation auraient eu pour effet pervers d’encourager Palyja et PAM Jaya à privilégier les quartiers riches de la ville et les utilisateurs existants, plutôt que les nouvelles connexions dans les quartiers pauvres, qui rapportent moins d’argent. Selon certaines sources, PAM Jaya décourage activement les concessionnaires privés de « trop » connecter les pauvres, dans la mesure où cela a pour effet d’augmenter ses dettes.
Le bilan social de Palyja est également contesté par les syndicats, qui sont partie prenante de la campagne anti-privatisation. Ils dénoncent notamment les conditions de reprise des anciens employés de PAM Jaya, ainsi que les fortes inégalités de salaires et de conditions de travail entre les locaux et les cadres expatriés de Suez. Selon l’enquête de 2003 de l’ICIJ, ces inégalités pèsent fortement sur la performance financière du service :
Atjeng Sastrawidjaja, auditeur de la ville de Jakarta, dit que la plupart des problèmes financiers des consortiums étaient de leur propre fait, du fait de coûts opérationnels extrêmement élevés. Les firmes privées ont loué de nouveaux bureaux dans deux immeubles distincts du centre de Jakarta au lieu d’utiliser les locaux détenus par PAM Jaya. En outre, les salaires des cadres étrangers, qui vivent dans les quartiers les plus riches de la ville, sont bien plus élevés que ceux versés aux fonctionnaires de PAM Jaya. Leurs cadres dirigeants – entre quinze et vingt pour chaque firme – sont payés entre 150 000 et 200 000 dollars par an. Les cadres de PAM Jaya comme Rama Boedi ne reçoivent pas plus que l’équivalent de 25 000 dollars.
Batailles judiciaires
Un tel bilan n’a pas manqué de susciter une virulente opposition politique et sociale. Dès la période de négociation du contrat, une partie de l’administration avait tout fait pour bloquer la privatisation. Et depuis lors, de nombreux acteurs – syndicalistes, politiques ou usagers - font pression pour obtenir l’annulation du contrat, sans succès jusqu’à ce jour.
Les divers opposants à la gestion privée de Suez – écologistes, syndicalistes, militants anti-corruption et défenseurs des droits des pauvres – ont fini par se réunir sous la bannière de la coalition KMMSAJ (Koalisi Masyarakat Menolak Swastanisasi Air Jakarta, « Coalition populaire pour résister à la privatisation de l’eau à Jakarta »). En plus de leurs actions traditionnelles de revendication et de plaidoyer – pétitions, manifestations, lettre ouvertes, rapports, etc. –, ils ont également porté la lutte sur le terrain juridique.
Une première bataille judiciaire vise à obliger PAM Jaya et Palyja à rendre publics les contrats de privatisation signés en 1997 et leurs avenants, qui sont encore maintenus secrets. La coalition a obtenu gain de cause en première instance, mais les firmes ont fait appel.
Les militants ont également lancé une action de groupe visant à faire invalider la privatisation de 1997 au motif qu’elle serait anticonstitutionnelle. La Constitution indonésienne stipule en effet que le gouvernement doit garder le contrôle des services essentiels. La procédure est en cours.
De leur côté, les syndicats ont également lancé une procédure judiciaire. La plainte porte à la fois sur les salaires des employés repris de PAM Jaya et sur le fait que la privatisation ne respecte pas les lois obligeant à assurer un service public à destination des pauvres.
Une renégociation au point mort
Dans un tel contexte, les autorités politiques de Jakarta annonçaient régulièrement depuis plusieurs mois leur intention de renégocier le contrat, voire de reprendre le contrôle du service public de l’eau. Une menace qui restait pour l’instant sans effet, notamment en raison de la menace – régulièrement brandie par Suez – d’une procédure en arbitrage international du même type que celle que la firme française avait initiée contre l’Argentine, avec potentiellement de lourdes indemnités à la clé pour Jakarta [7]. Selon certaines sources, une annulation unilatérale du contrat obligerait les autorités de Jakarta à verser 347 millions de dollars US à Palyja et 313 millions à Aetra.
Selon la presse indonésienne, les discussions en vue d’une refonte du contrat avaient pour l’essentiel abouti avec Aetra, gestionnaire de l’Est de la capitale indonésienne. En revanche, elles étaient au point mort avec Suez environnement. Cette différence s’expliquerait, selon les défenseurs de la privatisation, par le fait qu’Aetra peut acheter son eau en gros relativement bon marché, alors que Palyja dépend pour partie de sources plus chères et plus polluées (et donc impliquant davantage de coûts de potabilisation) [8].
Mais il semble bien aussi que la firme française rechignait à laisser filer plusieurs millions de profits garantis chaque année. Suez aurait certes proposé certains aménagements au contrat, mais qui entraînaient toujours des pertes substantielles pour PAM Jaya. Et les dirigeants de Suez n’ont pas hésité à faire jouer tous les leviers possibles pour faire pression sur les Indonésiens. Selon le magazine indonésien d’investigation Tempo (dans son édition du 9-15 janvier 2012), le directeur trop combatif de PAM Jaya aurait été cavalièrement congédié en décembre 2011 suite à l’intervention de Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez, maison mère de Suez environnement - intervention qui faisait elle-même suite à celle du Premier ministre François Fillon lors d’une visite d’État en juillet 2011.
L’annonce par le gouverneur Joko Widodo d’un futur rachat des parts de Suez dans Palyja semble sanctionner l’échec des négociations. Elle représente certes une victoire pour les militants qui s’efforçaient depuis des années d’obtenir le départ des gestionnaires privés. Ces derniers n’ont toutefois pas caché leur préférence pour une annulation unilatérale du contrat, dont ils ont calculé qu’elle coûterait moins cher au final qu’un rachat, même dans le scénario d’indemnisation maximale. Une annulation ne coûterait selon eux que 2,2 billions de roupies indonésiennes (167 millions d’euros ou 222 millions de dollars US), contre 9 billions (910 millions de dollars) en cas de rachat des parts de Suez dans Palyja.
Le gouverneur de Jakarta a toutefois indiqué qu’il espérait pouvoir racheter les parts de Suez environnement dans Palyja « pour un bas prix » et que des fonds auraient déjà été rassemblés à cet effet. La coalition KMMSAJ a lancé un effort de souscription populaire pour soutenir les autorités de Jakarta. Les militants estiment toutefois que si la justice acceptait leur demande d’invalidation du contrat de privatisation pour cause d’inconstitutionnalité, les autorités de Jakarta n’auraient aucun sou à verser à Suez.
Un modèle en accusation
Certes, Suez environnement ne saurait être tenu pour unique responsable de tous les problèmes rencontrés à Jakarta. Il faut faire la part de la mauvaise gouvernance et de la corruption – qui existent aussi bien dans le secteur privé que chez ses interlocuteurs du secteur public. Le système de paiement mis en place entre PAM Jaya et les opérateurs privés faisait qu’il était plus avantageux, y compris pour l’autorité publique, de se concentrer sur les usagers les plus aisés. Sans parler de la difficulté inhérente à construire et maintenir un service public de l’eau dans les grandes agglomérations urbaines du Sud, comme Jakarta, connaissant une croissance parfois chaotique et marquées par de profondes inégalités politiques, sociales et économiques.
D’un autre côté, ces constats jettent une lumière d’autant plus crue sur la propagande privatisatrice des années 1990 – qui n’a pas totalement disparu aujourd’hui, même si elle tend à prendre des formes euphémisées. Malgré toutes les promesses mirifiques avancées pour légitimer la privatisation (que ce soit par cynisme ou par aveuglement idéologique), à Jakarta comme ailleurs, la gestion privée n’a absolument rien fait pour améliorer le service public de l’eau et l’accès à l’eau des plus pauvres. Dans le meilleur des cas, les multinationales de l’eau ont fait « aussi mal » que les bureaucraties d’État qui les ont précédées – tout en ponctionnant une partie des revenus du service pour les transférer à la maison mère, en France ou ailleurs.
Dans le cas de Jakarta, ce sont quinze années de profit pour Suez environnement et quinze années perdues pour le droit à l’eau et la construction d’un véritable service public efficace et responsable, dont de nombreux exemples, y compris en Indonésie même, montrent qu’il ne s’agit pas d’un objectif inaccessible pour les grandes villes du Sud.
Même si elle intervient bien tard et dans des conditions pas forcément avantageuses pour Jakarta et ses habitants, on ne peut que se réjouir de la fin annoncée d’un modèle de privatisation qui a bien peu d’arguments à présenter pour sa défense. Et on ne peut qu’espérer que les grandes entreprises françaises de l’eau sont véritablement capables – comme elle le prétendent – d’opérer de manière viable et profitable (et utile à la société) sans avoir à recourir à des arrangements comme celui de Jakarta.
Olivier Petitjean
—
Photos : Antara Photo/M. Agung Rajasa, Banque mondiale, Indah Budiarti