Depuis quelques années, l’habitude s’est installée de faire sponsoriser les présidences tournantes du Conseil de l’Union européenne par des multinationales comme Coca-Cola, Microsoft ou BMW. Ces sponsorings, symboles de l’influence des grandes entreprises au plus haut niveau de l’UE et de la confusion entre intérêt public et intérêts privés, sont de plus en plus contestés, mais la pratique n’est toujours ni interdite, ni encadrée, en raison de l’opposition de certains pays dont la France.
À l’approche de la présidence française du Conseil de l’UE (PFUE), au premier semestre 2022, de nombreuses voix se sont élevées, y compris du sein même de la majorité présidentielle, pour demander au gouvernement de ne pas faire appel à des sponsors. L’Observatoire des multinationales s’est associé aux associations foodwatch et Corporate Europe Observatory pour lancer une pétition en ce sens.
En vain, puisque la PFUE est bien sponsorisée par deux grandes entreprises : Renault et Stellantis (groupe issu de la fusion entre FiatChrysler et PSA). Les deux constructeurs doivent fournir à la présidence des véhicules électriques et hybrides pour les déplacements des délégués. Un autre sponsoring avait été envisagé avec EDF, mais il a été abandonné, sans que la raison en ait été communiquée.
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En réponse à la polémique suscitée par ce choix, le gouvernement a joué sur les mots, essayant de faire une distinction totalement vide de sens entre « sponsoring » et « mécénat ». Par la voix du secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Clément Beaune, il a assuré que que ces accords de sponsoring n’entraîneraient aucune forme de conflit d’intérêts ou de contreparties, que Renault et Stellantis n’auraient pas le droit de s’en prévaloir à des fins publicitaires, et que ces mécénats se feraient dans « un cadre transparent » [1].
C’est fort de ces assurances que nous avons demandé au gouvernement, en janvier, de rendre publics les accords de sponsoring passés avec les deux groupes automobiles. Depuis, c’est le silence radio. L’Observatoire des multinationales, en concertation avec foodwatch et Corporate Europe Observatory, a donc saisi ce jour la Commission d’accès aux documents administratifs. (Voir mise à jour ci-dessous dans la section Boîte noire : les conventions ont finalement été rendues publiques.)
Une industrie automobile très influence à Paris comme à Bruxelles
Le secret maintenu sur la teneur des accords avec Renault et Stellantis confirme que ces « partenariats » ne sont pas aussi innocents que le gouvernement le laisse entendre. Ces deux groupes industriels sont directement concernés par plusieurs gros dossiers en cours d’examen dans la capitale européenne. Parmi eux, la date de fin des véhicules à moteur thermique, y compris des hybrides dont Stellantis est un important producteur. Une étude récente suggère d’ailleurs que les hybrides émettent en réalité presque autant que les véhicules classiques.
Également au menu de la présidence française du Conseil de l’UE, les nouvelles normes d’émission de CO2 des automobiles dans le cadre du paquet climat, ou encore la politique de soutien public massif aux secteurs des batteries et des semi-conducteurs ou aux filières d’approvisionnement en minerais stratégiques – autant d’enjeux vitaux pour le secteur automobile. Les industriels ont d’ailleurs été étroitement associés à la préparation de la PFUE. Dès juillet 2021, Clément Beaune avait participé au sommet de l’automobile organisé par Emmanuel Macron à l’Elysée pour écouter leurs demandes. Les représentants de la France à Bruxelles ont rencontré à plusieurs reprises ces derniers mois les représentants de Renault, Stellantis et de la Plateforme de l’automobile, principal lobby du secteur [2]. Cette proximité s’étend également au commissaire européen français, Thierry Breton. En mai 2021, dans une lettre à ce dernier adressée par Luc Chatel, ancien ministre et aujourd’hui patron de la Plateforme de l’automobile, on trouve la mention manuscrite « Merci de ton soutien, Amitiés ». En décembre 2021, Thierry Breton a rencontré des représentants de Stellantis, mais a refusé de rendre public le thème et les notes de cette rencontre, comme c’est la règle au niveau européen. De Paris à Bruxelles, l’omertà semble donc la règle concernant les liens entre décideurs français et industrie automobile.
Olivier Petitjean