Une partie de la Guyane va-t-elle se transformer en gruyère, au gré des forages et de l’implantation de sites d’extraction minière ? Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement ne cesse d’accorder des permis d’exploration minière en Guyane. Dès le 27 juillet 2017, il autorise la société minière canadienne Iamgold à y rechercher de l’or, de l’argent, du cuivre ou du zinc. Le 17 novembre de la même année, c’est cette fois la société Goldinvest, filiale d’un groupe immobilier, qui se voit attribuer un permis similaire.
Depuis, la liste s’est encore allongée : le 8 août 2018, Iamgold obtient un autre permis exclusif pour la recherche d’or. Puis le 11 septembre, le ministre de l’Économie et des finances attribue le « permis de Kourou » à la société Sudmine, une petite holding basée dans le Loiret [1]. Il s’agit d’un permis de recherche concernant plusieurs métaux : le tantale (un minerai utilisé dans l’électronique), le niobium (un métal rare présent dans de nombreux alliages), le lithium (pour les batteries), le béryllium (pour l’industrie nucléaire), l’étain, le tungstène, le titane et l’or.
Un territoire grand comme le département du Rhône livré à l’exploration minière
L’attribution du permis à Sudmine « nous fait dépasser, en "Amazonie Française" la surface record de 300 000 hectares de forêts tropicales humides sous cloche du lobby minier industriel », s’insurgent les collectifs Or de question et Sauvons la forêt, mobilisés en particulier contre le projet d’une mine d’or gigantesque en Guyane : la Montagne d’or (lire notre article qui lui est consacré). 300 000 hectares, c’est l’équivalent du département du Rhône qui pourrait ainsi être ravagé par l’extraction minière. Les deux collectifs décident alors de remettre à Emmanuel Macron - qui a été désigné « champion de la terre » par le programme des Nations-Unies pour l’environnement - le titre de « champion du cynisme décomplexé ! » En octobre 2018, Total décroche un nouveau Graal : une autorisation d’ouverture de travaux miniers pour la réalisation de cinq forages d’exploration pétrolière au large des côtes guyanaises (lire notre article).
« Ce projet est en totale contradiction avec l’Accord de Paris, la loi Hulot pour la sortie des hydrocarbures et les prescriptions du groupe d’experts pour le climat (GIEC) qui nous enjoint à maintenir les énergies fossiles dans le sol pour éviter l’emballement du réchauffement climatique », s’indigne le collectif Stop pétrole offshore Guyane [2]. Ce permis minier fait d’autant plus débat que l’enquête publique réalisée pendant l’été a recueilli 99,86 % d’avis défavorables [3] ! Total pourrait déposer une demande de permis d’exploitation d’ici le 1er juin 2019.
« Le ministère de l’industrie sert de chambre d’enregistrement »
« En Guyane, il y a beaucoup de demandes de renouvellement de concessions aurifères, étant donné qu’un grand nombre d’entre elles sont arrivées à échéance fin 2018, remarque un ingénieur minier. Vue la dynamique actuelle, elles vont être accordées. Quand on fait le bilan en Guyane, on constate que la Dreal (direction régionale de l’environnement, de l’emménagement et du logement, ndlr) et le ministère de l’Industrie servent simplement de chambres d’enregistrement. » Au regard de cette grande complaisance, les divers obstacles auxquels le projet de la montagne d’or est actuellement confronté font figure d’exception.
En visite en Guyane alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron avait affirmé son soutien à ce projet de méga-mine, promettant qu’il serait conforme au concept de mine « responsable », qui ne manquerait pas d’être inclus dans le code minier réformé. Mais la réforme promise n’a pas eu lieu. Et le projet de livre blanc est pour le moment au point mort [4]. Un sondage réalisé en juillet 2018 révèle encore que sept Guyanais sur dix sont opposés au projet.
Le collectif qui combat le projet, particulièrement dynamique, vient d’obtenir une victoire : le juge administratif a donné raison à l’association Maïouri nature Guyane, qui avait déposé un recours contre l’autorisation de travaux miniers sur la concession de la compagnie Montagne d’or [5].
L’Onu rappelle la France à l’ordre concernant la prise en compte des peuples autochtones
Le 10 janvier dernier, une autre difficulté s’est dressée face à la mine : le comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’Onu a sommé la France de prendre en compte l’avis des populations autochtones sur ce projet gigantesque [6]. « Jusqu’alors, notre opposition a été totalement ignorée », remarque Alexis Tiouka, juriste et membre de l’organisation des nations autochtones de Guyane (Onag). « C’est la première fois que la France est rappelée à l’ordre pour un manque de respect des droits autochtones », ajoute-t-il. Le gouvernement doit se prononcer sur le sujet avant le 9 avril. Rappelons que la France est signataire de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée par une large majorité d’États en 2007.
« La commission nationale consultative des droits de l’homme a aussi demandé au gouvernement français de travailler avec les experts des peuples autochtones, précise le juriste. Nous attendons également que le gouvernement se prononce sur l’interdiction du cyanure réclamée par le député de Guyane Gabriel Serville, sachant que sa proposition de résolution a été cosignée par 65 députés. » Huit tonnes de cyanure pourraient être utilisées chaque jour sur le projet de la Montagne d’or... « On attend la position du gouvernement sur ces trois décisions, confirme Alexis Tiouka. Cela pourrait faire jurisprudence pour la Guyane, qui a un statut particulier sur les mines. »
« Il ne sert à rien de faire de nouvelles mines d’or »
Le 7 février dernier, lors d’un débat qui s’est tenu à l’Assemblée nationale à propos de la Montagne d’or, le ministre de l’écologie François de Rugy a expliqué que le gouvernement trancherait d’ici le mois de juin, annonçant que lui-même se rendrait sur place d’ici là. « Aucun message politique ne dit qu’il faudrait freiner l’activité minière ou l’encadrer davantage », regrette un membre de l’ONG Ingénieurs sans frontières.
« On entend que les mines sont une priorité de l’État, mais pour quoi faire ? Où est le cahier des charges qui définirait les besoins en métaux rares et la feuille de route sur le sujet ? Si on avait un tel document, on verrait rapidement que nous n’avons pas besoin d’or », ajoute l’ingénieur. L’or sert notamment dans l’aéronautique, l’aérospatial et la médecine. Or, « les stocks actuels et la filière de recyclage couvrent amplement les besoins industriels du monde entier, poursuit ce membre d’Ingénieurs sans frontières. Il ne sert à rien de faire de nouvelles mines. C’est une pure logique de création de capital, et d’enrichissement des entreprises qui obtiennent ces concessions. » Aux dépens, une fois de plus, de l’environnement et des populations.
Nolwenn Weiler
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Photo : Foto : Vinícius Mendonça/Ibama CC vi Wikimedia Commons