06.01.2016 • Sidérurgie

Autour des aciéries d’ArcelorMittal en République tchèque et en Bosnie, un lourd fardeau de pollution

À Ostrava, en République tchèque, et Zenica, en Bosnie, les aciéries d’ArcelorMittal constituent une source cruciale d’emploi et de revenus, mais elles entraînent aussi une sévère pollution de l’air, souvent bien au-delà des normes européennes. Le géant mondial de la sidérurgie n’investit qu’au compte-goutte pour atténuer l’impact environnemental de ses installations vieillissantes. Autour des haut-fourneaux, les préoccupations sanitaires et environnementales le disputent aux craintes pour l’emploi. Reportage d’Equal Times.

Publié le 6 janvier 2016 , par Clare Speak

Dans un ghetto de Roms tchèques, à l’ombre des énormes aciéries, une odeur de soufre flotte dans l’air et le smog est épais. Des routes sales, sans éclairage public, mènent à des squats et à des maisons de fortune. Dans cette nuit sombre de novembre, la zone est étrangement illuminée par les feux ininterrompus des hauts fourneaux.

Une des villes les plus polluées d’Europe

Ici, en périphérie de la ville d’Ostrava, dans l’est de la République tchèque, le bruit est constant, tout comme la lumière que projettent les inquiétantes aciéries. De même la forte pollution de l’air.

Ostrava est l’un des endroits les plus pollués d’Europe et les imposantes aciéries d’ArcelorMittal, qui s’étendent sur dix kilomètres carrés, en sont le principal responsable.

Les taux de poussière dans la ville sont régulièrement quatre fois plus élevés que les niveaux autorisés par l’Union européenne et, dans les zones les plus proches de l’usine, les émissions nocives peuvent aller encore bien davantage au-delà des limites acceptées. Ici, en hiver, les alertes au smog font partie du quotidien, tout comme les recommandations adressées aux enfants, aux personnes âgées ou aux malades chroniques de rester à l’intérieur.

Emplois contre pollution de l’air

Les habitants ne s’attendent pas vraiment à ce que la situation s’améliore. « Nous savons que la pollution ne partira pas. Nous vivons dans une ville industrielle », explique Rostislav, un technicien de 57 ans qui a vécu presque toute sa vie à Ostrava. « Mais la situation est grave et ne va pas changer de sitôt. »

Les militants locaux estiment qu’il n’y a aucune volonté politique de forcer ArcelorMittal, un employeur et investisseur crucial pour la ville, à respecter les réglementations. Les résidents sont eux aussi partagés ; des milliers d’entre eux dépendent en effet des emplois fournis par les aciéries et craignent de les perdre.

Pourtant, il y a eu quelques progrès à Ostrava. Selon une organisation non gouvernementale tchèque, Arnika, les émissions de dioxyde de soufre des aciéries étaient en 2007 six fois plus élevées qu’aujourd’hui. Après des années de pression, des groupes de citoyens ont fini par obtenir qu’ArcelorMittal prenne des mesures pour réduire les niveaux de bruit et de pollution. Pour Arnika, ces mesures ne vont pas assez loin. Mais la situation s’est améliorée.

Niveaux effroyables de pollution

De fait, les améliorations constatées dans les aciéries d’Ostrava sont considérées comme un exemple à suivre dans une autre usine d’ArcelorMittal, à Zenica, en Bosnie-Herzégovine, où les niveaux de pollution sont aujourd’hui similaires à ce qu’ils étaient en 2007 à Ostrava. Et, exactement comme à Ostrava, ArcelorMittal est l’un des principaux responsables. Toutefois, l’entreprise, qui a repris les aciéries de la ville il y a dix ans, affirme qu’elle n’a pas les moyens d’apporter des améliorations plus rapidement.

« La pollution de l’air a retrouvé aujourd’hui les niveaux exorbitants des années 1990 », explique Samir Lemes, président de l’organisation non gouvernementale, Eko Forum Zenica, qui a initié des poursuites judiciaires contre ArcelorMittal Zenica (AMZ) en septembre dernier.

« Malheureusement, les autorités publiques sont paralysées par la crainte de perdre des emplois et font semblant de ne rien voir. »

Les seuils de pollution dépassés 252 jours sur 365 en 2014

L’organisation écologiste accuse les aciéries d’« empoisonner » cette ville de 120 000 habitants et les autorités bosniaques de « fermer les yeux » sur les pratiques polluantes de l’entreprise.

Samir Lemes explique aux journalistes d’Equal Times que l’année dernière, l’usine a dépassé les limites d’émission de dioxyde de soufre pas moins de 252 jours sur 365. « La loi autorise un dépassement des limites autorisées pendant un maximum de trois jours par an. »

Il souligne aussi que, depuis décembre 2014, l’usine poursuit sa production sans disposer des autorisations environnementales requises et, même si la firme prétend en avoir demandé de nouvelles, aucun permis n’a encore été accordé.

En fait, depuis novembre de cette année, continue-t-il, les aciéries fonctionnent sans aucune licence environnementale valable.

« Toutes les autorisations environnementales sont arrivées à échéance le 24 novembre 2015, de sorte que les aciéries tout entières fonctionnent sans permis valable, depuis l’usine de filtrage et la cokerie jusqu’au haut fourneau, en passant par la centrale électrique et le laminoir », dénonce-t-il.

«  Les autorités locales pourraient tout fermer du jour au lendemain si elles le voulaient, mais comme toujours, elles se montrent tolérantes envers l’investisseur étranger, même si ArcelorMittal Zenica n’a pas payé la taxe sur la pollution de l’air en 2013 ni en 2014. »

Investissements

En 2012, des milliers d’habitants de Zenica en colère ont manifesté dans les rues de la ville en exigeant l’application des réglementations environnementales. D’après Eko Forum Zenica, c’est à la suite de ces protestations qu’« ArcelorMittal a finalement installé quelques équipements obligatoires de filtrage en 2013 ». Pourtant, les émissions nocives de dioxyde de soufre continuent d’augmenter.

Les aciéries, autrefois propriété de l’État, ont été rachetées par ArcelorMittal en 2004. La production a repris en 2008 après que l’usine ait été fermée au début de la guerre dévastatrice qui a ravagé la Bosnie (1992-1995).

Pour Eko Forum Zenica, un investissement de 150 millions d’euros devait être réalisé dans l’usine dans le cadre du rachat, mais seulement un tiers de la somme a effectivement été investie.

En août 2015, ArcelorMittal a lancé un projet de trois millions d’euros destiné à réduire les émissions de poussières.

Mais l’entreprise explique qu’elle ne peut pas améliorer plus rapidement ses performances environnementales à Zenica, car elle doit financer ces améliorations sans aucune aide de la part de l’Union européenne ni du gouvernement.

Le directeur exécutif de l’entreprise, Biju Nair, a déclaré à Eko Forum Zenika qu’« il a fallu 20 ans pour améliorer la situation environnementale en République tchèque. Le processus est beaucoup plus rapide à Zenica, mais nous avons besoin de plus de temps. »

Et d’ajouter : « L’entreprise ne reçoit pas un mark [convertible de Bosnie-Herzégovine] du gouvernement, ni de l’Union européenne, ni d’autres institutions ».

Selon l’ONG, cette affirmation n’est pas tout à fait exacte, dans la mesure où la firme a obtenu, en 2005, un prêt de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) de 25 millions d’euros pour rénover l’usine. Martin Skalsky, de l’ONG Arnika, explique que le prêt était « conditionné par la conception d’un plan d’action environnemental de la part de l’entreprise. Mais, le plan contient d’énormes défauts et n’a permis aucune amélioration significative au niveau de la pollution de l’air. »

« En 2008, la société prétendait que l’usine serait conforme aux normes environnementales de l’Union européenne en 2012, mais cela n’a jamais été le cas », ajoute Martin Skalsky.

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La crainte de perdre des emplois

Le principal obstacle au changement, ici comme à Ostrava, est la peur paralysante de perdre une source d’investissements et d’emplois. L’opinion publique est divisée dans la mesure où les revenus de milliers d’habitants dépend directement ou indirectement des aciéries ; la population craint donc que tous frais supplémentaires imposés à l’entreprise n’entraînent des réductions d’emplois.

Ces craintes ont été alimentées plus tôt dans l’année par les déclarations d’ArcelorMittal selon lesquelles l’entreprise « envisageait sérieusement » la fermeture de ses installations en Bosnie-Herzégovine après que le gouvernement l’ait accusé de fraude fiscale et ait exigé le versement de 25 millions d’euros d’impôts impayés. Un responsable de l’entreprise avait alors déclaré à la presse locale que le gouvernement prenait « des risques avec l’économie ».

Aujourd’hui, alors que la crise mondiale de la sidérurgie se poursuit, ArcelorMittal « se plaint et menace d’être obligée de fermer toute la production pour ne maintenir que le fourneau pour la ferraille, en ne préservant que 800 de ses 2400 salariés actuels », explique Samir Lemes.

ArcelorMittal fait ces déclarations, continue-t-il, alors que rien que l’année dernière, sa filiale bosniaque AMZ a réalisé un bénéfice de 11 millions d’euros.

« Nous ne voulons pas que les aciéries ferment », poursuit Samir Lemes, « mais le respect des lois nationales et l’utilisation de technologies modernes pour protéger la population ne devraient pas être négociables. »

« C’est notre destin »

Kenan Mujkanovic, président de la SMFBIH, la Fédération syndicale des métallurgistes de Bosnie-Herzégovine, est l’un des nombreux habitants de Zenica déchirés entre sa préoccupation pour l’environnement et celle pour la sécurité de l’emploi. Vivant avec sa famille à quelque 500 mètres de l’usine, il explique qu’il a «  un intérêt direct à ce que les effets de l’usine sur l’environnement soient atténués ».

« D’autre part, en tant que représentant des métallurgistes, je suis fort intéressé par le bon fonctionnement de nos usines, et je souhaite que les travailleurs perçoivent leurs salaires et aient une sécurité de l’emploi », a-t-il confié aux journalistes d’Equal Times.

« La métallurgie ferreuse et la transformation des métaux sont essentielles pour l’économie et le développement général de Zenica », poursuit-il. « Toutes les villes industrielles, partout dans le monde, ont des problèmes d’impacts néfastes sur l’environnement. Zenica ne fait pas exception. C’est notre destin et dans un avenir proche, c’est difficile de parler de solution de substitution. »

L’entreprise, de son côté, estime que la pollution est un problème bien trop large pour qu’elle puisse le résoudre seule. Ses représentants décrivent Zenica comme une ville ayant sérieusement besoin de réglementations environnementales bien plus solides et d’investissements plus conséquents.

« Avant notre arrivée à Zenica, il n’y avait eu aucun investissement pendant des décennies et aucune mesure de protection de l’environnement n’avait jamais été prise », explique un porte-parole d’ArcelorMittal aux journalistes d’Equal Times.

« À Zenica, ArcelorMittal a mis en place depuis le premier jour des mesures pour améliorer sa performance environnementale. Cependant, nous avons hérité d’un équipement très vieux et nous devons relever des défis technologiques considérables.

Les mesures que nous avons mises en place avec nos investissements écologiques, qui se montent à 50 millions d’euros jusqu’à présent, portent déjà leurs fruits, même à l’heure actuelle, alors que toutes les usines métallurgiques en Europe sont confrontées à de graves difficultés sur le marché ».

Pour qu’une solution soit trouvée, explique Kenan Mujkanovic, « toutes les parties doivent adopter une approche équilibrée, juste et responsable » pour identifier les mesures spécifiques qui amélioreraient les conditions de travail et réduiraient la pollution « autant que possible » sans menacer la pérennité des activités de l’usine.

« Ce n’est pas une tâche aisée », reconnaît-il, « mais il n’y a pas d’autre solution. »

Clare Speak

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Photos : Michal Janček CC (une), Simon Hipkins via Equal Times

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Cet article a été publié initialement par le site Equal Times. Traduit de l’anglais. Reproduit avec autorisation.

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