13.06.2023 • Actus, revue de presse et liens

Il pleut des milliards - Lettre du 13 juin 2023

Publié le 13 juin 2023

Bienvenue dans la lettre d’information de l’Observatoire des multinationales.

Au menu cette semaine, au rythme de devenir répétitif : un pognon de dingue pour les grandes entreprises. Mais aussi du lobbying pétrolier, ArcelorMittal et LVMH.

N’hésitez pas à faire circuler cette lettre, à nous envoyer des réactions, commentaires et informations.

Pour rappel, l’Observatoire des multinationales dépend du soutien financier de ses lecteurs et lectrices. Un grand merci à tous ceux et celles qui peuvent nous faire un don !

Bonne lecture

Dépenses militaires : le cercle vicieux

La semaine passée, l’Assemblée nationale a examiné – et approuvé à une large majorité – la loi de programmation militaire, qui prévoit pas moins de 413 milliards d’euros de dépenses entre 2020 et 2030. C’est une augmentation de 40% par rapport à la LPM précédente, qui s’explique en partie par la montée des coûts (matériaux et énergie), et que le gouvernement justifie également par la guerre en Ukraine et un contexte géopolitique de plus en plus tendu.

Une part croissante de cette somme (53,7 milliards d’euros, soit 13% du total) est consacrée à la seule dissuasion nucléaire. Mais ce sont les dépenses en équipements militaires qui se taillent la part du lion : 268 milliards d’euros au bas mot, qui profiteront principalement aux champions du secteur que sont Dassault, Safran, Thales, Airbus, Nexter, Arquus et compagnie. Des groupes qui, comme vient le rappeler un dossier de L’Obs, profitent déjà du boom mondial des commandes d’équipements militaires provoqué par l’invasion russe de l’Ukraine.

Selon les discours officiels, ces dépenses seraient justifiées pour assurer la sécurité et la souveraineté de la France et de l’Europe. Mais la réalité est beaucoup plus compliquée. Depuis plus de cinquante ans, la France a choisi d’assurer sa sécurité et son autonomie stratégique en s’appuyant sur une industrie de défense qui se finance en partie par les exportations. Autrement dit, pour pouvoir continuer à s’équiper en armes « françaises », le gouvernement français favoriser les ventes d’armes à l’étranger, et en a même fait la priorité de sa diplomatie économique, sans se montrer très regardant sur les acheteurs de ces armes, qui peuvent se transformer en potentiels ennemis.

On a beaucoup parlé ces dernières années de ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux autres autocraties du Golfe. Le constat vaut aussi pour la Russie de Poutine. Comme le souligne encore L’Obs, plusieurs de ces champions français de l’armement ont continué à approvisionner la Russie jusqu’à la dernière minute, et parfois jusqu’en août 2022 pour certains équipements à usage dual (civil et militaire).

Pas de quoi se sentir très en sécurité, d’autant plus que les exportations d’armes sont gérées sans transparence, et sur fond de relations incestueuses et d’échanges de personnel entre le ministère des Armées et les grands industriels.

Sur tous ces sujets, on relira notre entretien avec l’économiste Claude Serfati, malheureusement toujours d’actualité.

Pognon de dingue, épisode 378

Dur de trouver de l’argent pour l’éducation nationale, l’hôpital et la sécurité sociale ? Pour les puces électroniques, en revanche, rassurez-vous, il y a ce qu’il faut. L’État a annoncé la semaine dernière une subvention de 2,9 milliards d’euros pour ST Microeletronics et son partenaire GlobalFoundries pour créer un nouveau site de production à Crolles, près de Grenoble, à côté de l’usine actuelle de ST. Le gouvernement annonce la création d’un millier d’emplois, soit tout de même un coût de 2,9 millions d’euros par emploi.

Issu de la fusion en 1987 des champions français et italiens du secteur, ST Microelectronics a encore pour actionnaires, à hauteur de 27% du capital, les États de ces deux pays (via Bpifrance pour ce qui est de la France). La société, de droit néerlandais, a son siège social... en Suisse. Elle fait partie des groupes qui ont beaucoup profité des crises récentes, et en l’occurrence des tensions sur l’approvisionnement en semi-conducteurs du fait du Covid puis des tensions géopolitiques. Son chiffre d’affaires a presque doublé par rapport à 2019, et son bénéfice a été multiplié par quatre, atteignant plus de 4 milliards d’euros en 2022. Une santé financière florissante qui ne l’a pas empêché de bénéficier, comme d’autres dans le même cas (comme TotalEnergies et Stellantis pour leur usine de batteries de Douvrin récemment inaugurée) des largesses gouvernementales.

Ces annonces interviennent sur fond de contestation croissante de la consommation d’eau de l’usine actuelle de ST Microelectronics, branchée sur le réseau d’eau potable de la métropole grenobloise. La consommation de l’usine représente au bas mot 20% de l’eau potable produite par la métropole ; l’eau prélevée est ensuite traitée et rejetée dans sa quasi totalité dans l’Isère. Les besoins de la nouvelle unité suscitent des inquiétudes, dans un contexte de tensions sur les ressources et de croissance de la demande. ST a été autorisée en 2022 à procéder à deux forages souterrains pour satisfaire des besoins en eau qui pourraient être multipliés par deux à l’horizon 2035 (lire l’article du Monde).

Ce soutien à grands coups de milliards d’euros à la production de semi-conducteurs « made in France » est présenté par le gouvernement non seulement comme une évidence, mais aussi comme une sorte de nécessité vitale pour assurer nos besoins essentiels et survivre dans la compétition mondiale. En réalité, l’essentiel de la production de cette nouvelle unité servira principalement l’industrie automobile – qui confirme ainsi sa capacité à capter la majeur partie des fonds publics français et européens censés être dédiés à la « souveraineté » et à la « transition ». Grands princes, les deux groupes se seraient engagés à prioriser les besoins des industriels français, dans la limite de … 5% de la production de la nouvelle usine.

ST Micro apparaît ainsi comme l’exemple même de ces « champions nationaux » new look que le gouvernement met aujourd’hui au centre de sa stratégie économique et même diplomatique. Que nous coûtent ces champions et que nous apportent-ils vraiment ? C’est justement la question que nous posons dans notre récent livre avec Attac, Super profiteurs.

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En bref

Lobbying : comment TotalEnergies avance caché. Une enquête du Monde raconte comment TotalEnergies a envoyé, en plus de sa délégation officielle à la COP27, une délégation parallèle, abritée sous le paravant d’une pseudo ONG allemande, l’ICD, montée par un cabinet de conseil travaillant pour l’industrie pétrolière. Cette délégation supplémentaire incluait les gardes du corps du PDG Patrick Pouyanné ainsi que deux lobbyistes du groupe, dont Madji Abed, un transfuge du Quai d’Orsay. Un bon moyen de contourner le nombre limité de places pour les industriels à la COP, mais aussi de s’assurer que des entités labellisées « société civile » porteront le même message que l’industrie pétrolière.

Morts au travail chez ArcelorMittal. Ces dernières années, plusieurs travailleurs ont trouvé la mort sur des sites d’ArcelorMittal en France (lire nos articles ici et ). Notre pays ne fait pas exception de ce point de vue. D’après des données internes consultées par L’Humanité, 251 salariés ont perdu la vie chez ArcelorMittal depuis 2012, dont 6 depuis le début de l’année 2023, au Pologne, au Mexique et en Afrique du Sud. L’enquête relève aussi que le nombre d’accidents mortels au travail a cessé de baisser au sein du groupe, alors même qu’il a effectué des coupes sombres dans ses effectifs mondiaux, qui ont chuté de 40% en 10 ans.

Marges. C’est désormais un secret de polichinelle que l’inflation actuelle est en partie alimentée – et probablement de plus en plus, à mesure que les contrecoups de la guerre en Ukraine sur les marchés mondiaux s’atténuent – par la hausse des marges bénéficiaires des entreprises. Autrement dit, par les superprofits, comme nous le rappelions récemment dans notre récente note sur les résultats annuels du CAC40. Les derniers chiffres de l’INSEE, publiés le 31 mai, confirment cette tendance à la hausse des marges au premier trimestre 2023, et ce malgré la baisse continue de la productivité. Les statistiques de l’INSEE ne permettent pas de faire la distinction entre petites et moyennes entreprises et grands groupes, ces derniers ayant davantage le pouvoir d’imposer des hausses de prix. Elles permettent en revanche de distinguer les secteurs où les taux de marge progressent le plus : « les énergéticiens (70,9 %, à un niveau historique depuis fin 2022), les services de transport (37,8 %) et l’industrie agroalimentaire (48 %) », souligne Libération.

Les dessous sales de LVMH. Mediapart poursuit sa série d’enquêtes sur la face cachée du géant du luxe présidé par Bernard Arnault. Après avoir révélé des affaires de harcèlement moral au sein du magasin La Samaritaine à Paris, le média d’investigation signale des comportements racistes anti-noir de la part de managers, non suivis de conséquences. Les vendeurs et les agents de la Samaritaine sont employés par DFS, une filiale de LVMH spécialisée dans les magasins de luxe dans les aéroports, basée à Hong Kong. Une autre enquête, sur les usines françaises de maroquinerie de la marque Vuitton, met en lumière l’intensification des cadences de production et la détérioration des conditions de travail pour répondre à l’explosion de la demande et alimenter la machine à superprofits du groupe et de son PDG-actionnaire. L’article détaille des méthodes de management et de travail à la chaîne très éloignées de l’image d’artisanat que vend le groupe à ses clients fortunés.

L’industrie pétrolière fait aussi du lobbying pour le plastique. Le 2 juin s’est achevée à Paris une session de négociations en vue d’un traité international pour lutter contre la pollution plastique. La session a été marquée par l’obstruction de certains pays – dont les États-Unis, la Russie, l’Arabie saoudite, la Chine, l’Inde ou encore le Brésil – refusant toute mesure contraignante de réduction du plastique à la source. Ils ont été rejoints sur cette ligne par les lobbyistes des grandes entreprises pétrolières et chimiques, très présents eux aussi à Paris. Et pour cause : le plastique est produit à partir de gaz et de pétrole fossiles, et représente un débouché de plus en plus important pour les majors comme TotalEnergies. On lira les explications d’Alternatives économiques et de Mediapart, qui a compté pas moins de 190 lobbyistes accrédités pour suivre les négociations. L’industrie pétrochimique préfère tout miser sur le recyclage, alors que la majorité du plastique aujourd’hui n’est pas recyclée ni même recyclable, et que le processus de recyclage lui-même est source de pollution plastique !

Nouvelle piqure de rappel. L’Observatoire des multinationales organise, le 20 juin à Paris, une formation « Comment enquêter sur le lobbying ? » consacrée aux méthodes et sources d’enquête sur le lobbying (au sens large) en France et en Europe. Plus d’infos et inscriptions ici.

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