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08.02.2024 • Actus, revue de presse et liens

À qui profite le crime (écologique) - La lettre du 8 février 2024

Publié le 8 février 2024

Bienvenue dans la lettre d’information de l’Observatoire des multinationales.

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Bonne lecture

Superprofits, la saison 3

C’était attendu : le groupe pétro-gazier TotalEnergies a annoncé le 7 février des bénéfices historiques de près de 20 milliards d’euros (21,4 milliards de dollars) pour l’année 2023. C’est légèrement plus que les deux années précédentes, où les « superprofits » de l’entreprise ont été amputés, d’un point de vue comptable, par des dépréciations liées à son retrait forcé de Russie.

Les dirigeants de TotalEnergies ont également annoncé une nouvelle hausse de leur dividende. La quasi totalité des profits des années précédentes avaient déjà été reversés directement ou indirectement aux actionnaires du groupe.

Pour éteindre les polémiques, la major a publié la veille de ses résultats un communiqué de presse vantant ses « contributions et engagements » pour la France. Elle y pratique les confusions habituelles sur la nature de ses contributions financières aux caisses de l’État, mélangeant allègrement les cotisations sociales, les taxes collectées, la « taxe de solidarité sur l’électricité » (sic : il s’agit apparemment de la contribution exceptionnelle sur les superprofits énergétiques introduite au niveau européen) et l’impôt sur les bénéfices qu’il verse effectivement - ou pas, ce n’est (lire TotalEnergies n’a pas payé d’impôt sur les sociétés en France depuis deux ans). Le communiqué mentionne aussi la ristourne à la pompe (lire « Ristourne » : le coup double de TotalEnergies pour enfoncer ses concurrents et éviter une taxation des superprofits) et les diverses initiatives de mécénat du groupe, notamment en matière de rugby.

Ces derniers temps, le groupe a multiplié les signaux ouvertement négatifs sur l’enjeu climatique, ne se souciant apparemment même plus de maintenir le vernis vert dont il avait cherché à revêtir sa stratégie de poursuite des énergies fossiles. Il a multiplié les nouveaux investissements dans le pétrole et le gaz, et envisagerait désormais de céder une partie de ses actifs dans les énergies renouvelables, pour plus de 2 milliards d’euros.

Bref, Total fait plus que jamais du Total.

Pourrait-il en aller autrement ? Peut-on faire quelque chose, et quoi ? C’est la question à laquelle nous avons voulu répondre dans notre étude de décembre dernier TotalEnergies : comment mettre une major pétrogazière hors d’état de nuire, où nous examinons les mesures plus ou moins radicales qui pourraient être prises pour remettre un groupe comme TotalEnergies dans le sens de l’intérêt général.

Hasard du calendrier : les élus écologistes au Sénat viennent de lancer une commission d’enquête sur « les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France ». Les auditions, qui ont commencé le 18 janvier, vont se poursuivre dans les semaines à venir (voir la page dédiée du site du Sénat). On peut espérer qu’elle serve au moins à introduire plus de transparence sur les mille et une manière dont l’État français continue aujourd’hui à soutenir TotalEnergies, notamment dans ses projets à l’étranger.

Jeu de dupes agricole

La révolte des agriculteurs français semble s’être éteinte presque aussi vite qu’elle s’était enflammée. La FNSEA et les Jeunes agriculteurs ayant obtenu ce qu’ils souhaitaient – c’est-à-dire essentiellement la remise en cause de plusieurs mesures écologiques, dont le plan anti-pesticides Ecophyto –, ils ont sonné la fin du mouvement et ont été globalement suivis par leurs troupes sur le terrain.

Pourtant, la colère des paysans portait sur bien davantage que cela, à savoir la juste rémunération de leur travail et le poids croissant de la bureaucratie. Autant voire plus que les politiques écologiques, leurs actions ont ciblé les géants de la grande distribution et de l’agroalimentaire. Depuis des années, ces derniers s’accaparent une partie de plus en plus importante des revenus des filières agricoles, au détriment des producteurs (lire par exemple Comment l’industrie agro-alimentaire et la grande distribution asphyxient le monde agricole et En pleine crise de l’élevage, les grandes familles du lait plus prospères que jamais). La tendance n’a fait que s’accentuer depuis la pandémie de Covid et la crise du coût de la vie qui a suivi la guerre en Ukraine. Parmi les premiers ciblés par les agriculteurs : le groupe Lactalis, qui venait d’annoncer un prix de rachat du lait beaucoup trop modique. Globalement, tous les grands groupes qui contrôlent les divers maillons de la chaîne agricole mondiale – agroalimentaire et distribution, mais aussi producteurs de pesticides et d’engrais, ou encore négociants, ont connu ces deux dernières années une période très faste de « superprofits », tandis que les paysans voyaient leurs revenus encore diminuer.

Pourtant, au sein des organisations dominantes de la profession agricole, on fait encore semblant que tous ces acteurs ont les mêmes intérêts ou au moins les mêmes ennemis, à savoir les écologistes. Et rien ne le symbolise mieux que le fait que le président de la FNSEA Arnaud Rousseau n’est autre que le patron d’un de ces groupes qui contrôlent les chaînes de valeur au détriment des « vrais » producteurs : le groupe d’oléagineux Avril. Jusqu’à quand un tel jeu de dupes peut-il se perpétuer ?

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En bref

Gaza : des entreprises françaises dans le collimateur. L’intervention militaire israélienne dans la bande de Gaza suite aux attentats du 7 octobre entre dans son quatrième mois. Alors que les gouvernements occidentaux maintiennent un silence coupable sur les exactions des militaires israéliens et les victimes civiles, certaines entreprises jugées complices de la politique israélienne et en particulier de la colonisation illégale sont montrées du doigt par les mouvements de soutien à la Palestine. C’est le cas du groupe français Carrefour, qui a récemment passé un accord pour s’étendre dans le pays, et qui est ciblé par une campagne de boycott dont les effets sont plus sensibles dans d’autres pays, comme le Maroc, qu’en France. D’autres militants visent les livraisons d’armes et d’équipements militaires à Israël – livraisons sur lesquelles il n’y a actuellement aucune réelle transparence en ce qui concerne la France. La récente ordonnance de la Cour internationale de justice ordonnant à Israël de remédier au risque de génocide de la population civile va-t-elle changer la donne ? L’entreprise japonaise Itochu vient d’annoncer avoir mis fin à son partenariat stratégique avec la firme d’armement israélienne Elbit du fait de la décision de la CIJ. Elbit dont un autre partenaire clé est le français Thales.

Un autre ex ministre rejoint le privé. L’ancien ministre des Solidarités Jean-Christophe Combe est désormais le directeur marketing et innovation de l’entreprise de transport Keolis, filiale de la SNCF. Il avait déjà annoncé par ailleurs rejoindre le comité de mission de La Plateforme, école privée dédiée au numérique. Jean-Christophe Combe ne fait que suivre le mouvement de beaucoup de ses ex collègues au gouvernement qui ont rejoint le secteur privé, comme nous le montrons dans notre page spéciale « Portes tournantes » et plus spécifiquement dans cet article. En allant pantoufler chez Keolis, il rejoint aussi un secteur, celui des transports publics, qui a récemment recruté nombre d’anciens responsables publics (dont Jean Castex à la RATP) sur fond de libéralisation programmée.

EPR en Angleterre : nouveaux retards et dépassements de coût. Les déboires d’EDF avec l’EPR n’en finissent pas. Après les problèmes rencontrés à Flamanville et plus récemment en Chine (et sans parler du réacteur finlandais construit par Areva), c’est le projet phare mené au Royaume-Uni, Hinkley Point C, qui accumule les problèmes. Le groupe français, désormais propriété à 100% de l’État, a annoncé un retard de 4 ans supplémentaires, avec une mise en service prévue entre 2029 et 2031 contre 2017 initialement. Le coût total du projet, évalué au départ à 18 milliards de livres sterling, l’est désormais à entre 31 et 34 milliards. Le groupe EDF, déjà très fragile, va devoir assumer seul tous ces surcoûts, du fait du retrait de son partenaire chinois et du refus de renégocier du gouvernement britannique. Et ce sont en dernière instance les usagers, déjà frappés par une nouvelle hausse du prix de l’électricité, qui risquent de passer à la caisse.

Cabinets de conseil contre transparence. C’était l’une des conséquences concrètes de la « commission d’enquête McKinsey » initiée il y a deux ans par le Sénat : une proposition de loi portée par la sénatrice Éliane Assassi (Parti communiste français) et le sénateur Arnaud Bazin (Les Républicains) visant à réduire le poids des cabinets de conseil au sein de l’Etat. Leurs services auraient coûté en 2021 la bagatelle de 1 milliard d’euros aux finances publiques. Selon les révélations de Mediapart, Richard Ferrand qui comme beaucoup d’anciens dirigeants macronistes retirés des affaires publiques a créé une société de « conseil » (c’est-à-dire de lobbying, lire Sociétés de « conseil » : le très discret business des anciens ministres d’Emmanuel Macron), s’est mis au service du cabinet Accenture pour faire vider de sa substance la proposition de loi à l’Assemblée nationale. Avec succès, puisque l’une des dispositions phares, à savoir la possibilité pour la HATVP d’imposer des obligations de transparence, de les contrôler et éventuellement de prononcer des sanctions comme des interdictions de marchés publics, a été supprimée.

Havas mise gros sur Shell. La filiale du groupe Vivendi, dirigée par Yannick Bolloré, fils de Vincent, est sur la sellette au Royaume-Uni. Alors qu’elle multipliait depuis des années les engagements sur le climat et les questions sociétales, jusqu’à obtenir la certification « B Corp », elle a conclu en 2023 un premier contrat très lucratif avec l’un des principaux géants des énergies fossiles, Shell, sur l’achat d’espaces dans les médias, et serait aujourd’hui en lice pour un second contrat sur les relations publiques et la gestion de crise. Ce choix stratégique contesté en interne a poussé le mouvement Extinction Rebellion à cibler le siège londonien du géant français. Lire l’article de DeSmog (en anglais).

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