Le biodiesel serait-il encore plus polluant que les carburants classiques d’origine fossile ? C’est ce qu’affirme le Réseau Action Climat : selon ses calculs, 1,2 litre de pétrole serait parfois nécessaire pour faire un litre d’agrocarburants [1]. À quelques jours de l’ouverture de la Conférence internationale sur le climat, le groupe Avril-Sofiprotéol, dont le biodiesel est le cœur de métier, réagit à ces critiques. Il présente sur la plateforme « Solutions COP21 » sa démarche pour réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre du biodiesel de colza d’ici 2017. « Augmenter le rendement agricole et les performances environnementales, c’est possible », indique le groupe. Comment ? « En augmentant les rendements en graines tout en ajustant les quantités d’intrants apportés ».
Un argument qui ne convainc pas les ONG. Même si son bilan énergétique est un peu meilleur, le biodiesel continue d’entrer en concurrence avec la production alimentaire. 65% des huiles végétales produites en Europe et 40% du maïs américain sont aujourd’hui destinées au marché des agrocarburants, rappellent les Amis de la Terre. Avril-Sofiprotéol fait donc partie des entreprises sélectionnées pour les Prix Pinocchio. « Cette réduction de l’offre en céréales et en oléagineux pour les marchés alimentaires pousse les prix à la hausse, avec des conséquences dramatiques pour les ménages les plus pauvres des pays du Sud », précisent les ONG. La pression sur les céréales et huiles alimentaires entraîne l’extension d’autres cultures, comme l’huile de palme en Indonésie, critiquée pour la déforestation qu’elle engendre.
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Faites un donUne lourde facture pour les contribuables français
En raison de ces impacts négatifs, les eurodéputés ont pour la première fois adopté en avril dernier un plafond pour la consommation d’agrocarburants issus de cultures alimentaires (maïs, canne à sucre, colza). Mais ce plafond est plus élevé que la part d’agrocarburants actuellement consommée par les poids-lourds et autres véhicules en Europe. Ces agrocarburants représentent aujourd’hui environ 5 % de la consommation énergétique finale des transports. Et le plafond est fixé à 7%. Les effets néfastes peuvent donc s’intensifier ! L’influence du syndicat agricole européen Copa-Cogeca est pointée du doigt. Son vice-président n’est autre que... Xavier Beulin, le patron d’Avril-Sofiprotéol !
Dans une lettre envoyée aux députés européens deux mois avant le vote, le Copa-Cogeca mettait en garde : « Toute réduction des cibles visant à promouvoir l’usage de carburants basés sur des cultures agricoles nuirait à la croissance et à l’emploi, ainsi qu’aux objectifs dans le domaine de l’énergie et du climat ». « Étant donné que la seule Copa-Cogeca a dépensé 2 millions d’euros de lobbying à Bruxelles en 2014, avec un effectif de 18 lobbyistes, il n’est pas surprenant que Beulin et sa toile d’associations professionnelles aient réussi à obtenir ce qu’ils voulaient », dénoncent les ONG.
Si les politiques publiques européennes demeurent favorables aux agrocarburants, c’est aussi le cas en France. Un rapport de la Cour des comptes de 2012 estime que l’exonération fiscale dont bénéficient les producteurs de biodiesel a coûté à l’État plus de 1,8 milliards d’euros entre 2005 et 2010. Sur la même période, les investissement productifs de la filière avoisinent les 500 millions d’euros... Les contribuables français ont donc payé près de quatre fois les investissements des entreprises comme Sofiprotéol-Avril ! Cela n’a pas empêché le gouvernement Ayrault de renouveler fin 2012 pour trois ans les agréments qui permettent aux producteurs d’agrocarburants de bénéficier de cette défiscalisation massive. Le gouvernement actuel promet que ce dispositif s’éteindra fin 2015. À bon entendeur...
Sophie Chapelle
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Photo : Catawba County CC