Ces derniers jours, plusieurs actions ont été organisées par des agriculteurs dans des grandes surfaces précisant dans des tracts : « Ce magasin manque de beurre parce qu’il ne veut pas le payer à son juste prix ! ». Pour comprendre cette situation, il faut remonter la filière laitière et quelques mois en arrière, avec l’explosion du cours mondial du beurre. Alors qu’il fallait débourser 2500 euros pour une tonne en avril 2016, les cours ont atteint les 6800 euros en septembre 2017 [1]. Une envolée des cours liée à une augmentation mondiale de la consommation : la publication d’études scientifiques affirmant que les matières grasses animales en général n’étaient pas si nocives pour la santé [2], mêlée aux relais médiatiques appelant à consommer du beurre, ont entrainé le regain d’intérêt des consommateurs. Entre janvier et août 2016, les exportations de beurre vers la Chine ont par exemple bondi de 46 %.
Ci-dessus, la Une du magazine américain Time, « Mangez du beurre » (juin 2016).
Or, cette augmentation des cours n’a pas été répercutée sur les prix de vente dans les grandes surfaces en France. « Dans un contexte de guerre des prix entre distributeurs, la majorité des centrales d’achats françaises refusent de procéder à des hausses tarifaires nécessaires. Le prix du beurre au consommateur a ainsi augmenté de 6 % entre août 2016 et août 2017 en France selon l’Insee, quand dans le même temps il a augmenté de 72 % en Allemagne », souligne le centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel) dans une note de juin dernier.
Les multinationales du lait préfèrent exporter le beurre
En cause, une spécificité française : chaque année, en février, la grande distribution s’entend avec ses fournisseurs de beurre sur un prix d’achat pour les douze mois qui suivent. L’accord n’a donc pas été revu depuis février 2017. Dès lors, le marché national du beurre est devenu moins rémunérateur pour les industriels français – Lactalis, Danone, Sodiaal, Bongrain, Entremont, Bel... – qui ont préféré vendre le beurre à l’export. Alors que la France est excédentaire en lait et pourrait satisfaire ses besoins en beurre, les industriels de l’agroalimentaire choisissent de vendre au plus offrant et concourent à organiser une pseudo « pénurie ».
Les éleveurs, eux, n’ont pas bénéficié de la hausse des cours du beurre. Le prix du litre de lait continue, pour nombre d’éleveurs, à leur être payé au même prix qu’il y a 30 ans, soit environ 29 centimes d’euro le litre [3]), alors que le prix du beurre a, lui, plus que doublé ! Vingt-deux litres de lait entier sont pourtant nécessaires à la fabrication d’un kg de beurre. Mais celle-ci – qui concerne 20 % de la production laitière française – crée un coproduit peu intéressant : la poudre de lait, déjà en surproduction dans l’Union européenne et dont le prix ne cesse de chuter, baissant d’autant les bénéfices éventuels des producteurs. « Aujourd’hui nous sommes arrivés au bout d’un cycle où chacun a bien compris que si l’agriculteur ne gagne pas sa vie correctement, il n’y aura plus d’agriculteurs », a réagi le ministre de l’agriculture Stéphane Travert le 27 octobre dernier.
« Cet épisode de flambée des prix du beurre et de pénurie dans les magasins est symptomatique du fonctionnement absurde de la filière laitière et de notre système alimentaire », dénonce la Confédération paysanne. Pour elle, « il est urgent que l’Union européenne se dote à nouveau d’outils publics d’organisation des marchés afin de réguler et répartir les productions, prévenir les crises et assurer la souveraineté alimentaire ». Selon Stéphane Travert, certains distributeurs ont d’ores et déjà accepté d’accepter les hausses des tarifs de la matière première comme Super U et Auchan. Mais le conflit français entre industriels et distributeurs pourrait durer jusqu’aux prochaines négociations annuelles, en février 2018. Emmanuel Macron s’est engagé à proposer, au début de l’année prochaine, une loi qui garantisse un revenu pour les paysans.
Sophie Chapelle
—
Photo : CC Taryn