Espionnage des salariés français d’IKEA et de Quick à la demande des entreprises elles-mêmes, allégations d’espionnage de l’ancienne présidente d’Areva Anne Lauvergeon, piratage des ordinateurs de Greenpeace à l’instigation d’EDF, accusations d’espionnage chiez Renault... Un article de Challenges se penche sur les différentes affaires survenues récemment en France et sur le petit monde des cabinets de renseignement auxquels font appel les entreprises.
L’article souligne la difficulté à mettre en cause les dirigeants des entreprises, qui savent maintenir l’opacité sur la chaîne de décision. Le cas IKEA fait exception, puisque la justice française a mis en examen, en novembre 2013, le directeur général et le directeur financier d’IKEA France.
Les officines en question sont souvent fondées ou dirigées par d’anciens agents de l’État :
Ce tropisme pour les anciens des services de renseignements, de la police ou de l’armée se retrouve dans le casting de ces directions à risques : chez Renault, le patron de la sécurité Rémi Pagnie, ex-DGSE, était épaulé par un ancien de la PJ de Versailles et un ex-DPSD (Direction de la protection et de la sécurité de la défense). A EDF, la sécurité était chapeautée par un contre-amiral, secondé par un ancien policier. « Il y a une fascination des dirigeants pour ces profils, pour leurs informations et leurs réseaux », pointe Stéphane Koch, patron du cabinet suisse d’intelligence économique Intelligentzia.
Les services de sécurité ont-ils dérapé seuls, comme le plaident les groupes concernés ? Les agissements ont-ils été validés par les directions générales ? C’est tout l’objet des instructions en cours. Les condamnations judiciaires ont pour l’instant épargné les dirigeants. EDF, condamné en 2011 à 1,5 million d’euros d’amende pour complicité de piratage informatique dans l’affaire Greenpeace, a finalement été relaxé en appel en 2013. Seul le numéro deux de la sécurité, l’ancien policier Pierre-Paul François, a écopé d’une peine de six mois de prison. « Il fallait un fusible pour protéger la hiérarchie, assure son avocate Marie-Alix Canu-Bernard. EDF travaillait de longue date avec Kargus, la direction était forcément au courant. »
Novethic avait souligné il y a quelques mois l’enjeu de l’encadrement juridique des pratiques de surveillance des salariés par les entreprises en France - des pratiques souvent illégales, mais qui ont bénéficié jusqu’ici d’une certaine impunité.
Suite aux scandales de ces derniers mois, la profession du renseignement assure qu’elle fait le ménage en son sein et travaille à l’élaboration d’une « charte éthique ». Reste à savoir s’il s’agit véritablement de tirer un trait sur les pratiques passées, ou simplement de se débarrasser des officines les plus compromises.
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Faites un donSalariés et militants en ligne de mire
Au même moment, un rapport publié aux États-Unis par le Center for Corporate Policy dénonçait la généralisation des pratiques d’espionnage des militants écologistes (particulièrement Greenpeace) et altermondialistes par de grandes entreprises ou des associations professionnelles, notamment dans le secteur de l’énergie ou de l’agroalimentaire.
L’auteur du rapport, Gary Ruskin, suggère que le phénomène de l’espionnage d’entreprises demeure largement méconnu et sous-estimé, les scandales publics ne constituant selon lui que la partie émergée de l’iceberg. Le nombre de firmes de renseignement spécialisées dans l’espionnage d’ONG (là encore, souvent fondées par d’anciens agents des services de sécurité officiels) aurait explosé ces dernières années. Gary Ruskin va jusqu’à suggérer qu’un militant d’ONG sur quatre y a été placé par une entreprise ou ses agents !
La plupart des affaires citées dans le rapport ont leur origine aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où les services de renseignement officiels semblent avoir délibérément prêté main forte aux entreprises. Le cas de l’espionnage de Greenpeace France à l’instigation d’EDF est le seul exemple avéré de telles pratiques à ce jour en France.
Olivier Petitjean
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Photo : © Bente Stachowske / Greenpeace