En septembre 2015 éclatait le scandale du « Dieselgate » : la révélation que Volkswagen avait introduit un logiciel truqueur dans ses moteurs pour tromper le public sur les émissions polluantes de ses véhicules diesel. Très vite, il est apparu que l’affaire ne concernait pas seulement Volkswagen, mais tous les constructeurs automobiles. En particulier Renault. On savait depuis les tests effectués en France et ailleurs dans la foulée du Dieselgate que les voitures du fabricant français émettaient bien davantage de polluants – notamment du monoxyde d’azote ou NOx – qu’il le prétendait. Les modèles Captur et Clio IV étudiés par la « Commission Royal », mise en place en France suite au scandale, affichaient des émissions de NOx plus de trois fois supérieures aux seuils réglementaires.
Ce qui manquait encore cependant, c’était la preuve que Renault avait procédé à une tromperie délibérée, et pas seulement à une « optimisation ». C’est précisément ce que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) estime aujourd’hui avoir établi : la présence d’un logiciel « injecté au calculateur » provoquant une « sous-utilisation importante des éléments de dépollution » sauf en situation de test d’homologation. Autrement dit, le système anti-pollution est programmé pour fonctionner de manière optimale seulement pour les contrôles, et reste désactivé la plupart du temps, apparemment dans le but d’éviter des effets indésirables sur la conduite et la consommation du véhicule. Soit exactement ce qui est reproché à Volkswagen. Les agents de la répression des fraudes auraient également découvert des courriers électroniques entre cadres du groupe attestant du caractère délibéré de la fraude.
Une information judiciaire, pour tromperie aggravée, avait été ouverte en janvier. Mais ce n’est qu’aujourd’hui que la teneur du rapport de la DGCCRF, sur la base duquel ces poursuites ont été engagées, a été porté à la connaissance du public, en l’occurrence par Libération. Ce rapport souligne également la tendance de Renault à ne faire que le strict minimum en termes de performance environnementale, par comparaison avec ses concurrents.
La responsabilité du PDG également en jeu
Par la voix de son numéro deux Thierry Bolloré, Renault a démenti l’existence de logiciel trompeur sur les véhicules de la marque au losange. Autre pomme de discorde : selon la DGCCRF, en l’absence de délégation de pouvoir au sein de Renault, c’est le PDG Carlos Ghosn lui-même qui doit être tenu juridiquement responsable de la tromperie. Ce que dément là aussi par Renault. Carlos Ghosn encourt jusqu’à deux ans de prison et une interdiction de continuer à exercer ses fonctions. La mise en cause personnelle d’un patron de multinationale serait inédite.
Quant au groupe, en plus d’une amende potentielle équivalant à 10% de son chiffre d’affaires, soit 3,5 milliards d’euros, il pourrait faire face aux demandes de remboursement des dizaines de milliers de particuliers. Selon la DGCCRF, tous les modèles vendus en France équipés d’un moteur diesel de type K9 sont potentiellement concernés, soit près de 900 000 véhicules (un chiffre contesté par Renault).
La bataille du dieselgate se poursuit au niveau européen et aux États-Unis
Le Dieselgate a mis en lumière la complicité des États européens avec leurs constructeurs automobiles, que ce soit en termes d’homologation des véhicules, d’assouplissement des normes ou de protection face à la justice. Durant l’été 2016, le Financial Times avait d’ailleurs suggéré que l’État français avait délibérément omis de mentionner certains faits gênants pour Renault dans le rapport de la Commission Royal, afin de protéger ce « champion national » dont il est par ailleurs actionnaire. Il y a quelques mois, la Commission européenne a fini par lancer une procédure en infraction contre plusieurs gouvernements du vieux continent, mettant en cause l’absence de poursuites judiciaires contre les constructeurs automobiles.
Mais la Commission n’est pas elle-même dénuée de responsabilité dans cette affaire, puisqu’elle a laissé un grand pouvoir aux constructeurs automobiles sur la définition des normes qui leur seraient appliquées. La Commission d’enquête créée suite au Dieselgate par le Parlement européen a finalisé son rapport, qui doit être examiné en plénière début avril. Sa vice-présidente, l’eurodéputée écologiste Karima Delli, plaide pour la création d’une agence européenne de l’homologation, « pour éviter les conflits d’intérêts entre les constructeurs et leurs capitales ou entre les agences d’homologation et les constructeurs ».
Dans le même temps, aux États-Unis d’où était parti le scandale, les constructeurs automobiles seraient sur le point d’obtenir un assouplissement des standards d’émissions de leurs véhicules. Profitant de la volonté affichée de l’administration Trump de supprimer ou alléger les régulations mises en place depuis des décennies par le gouvernement américain, les milieux économiques ne se sont pas privés de lui transmettre leurs demandes, lesquelles sont généralement satisfaites. En l’occurrence, tous les constructeurs automobiles se sont réunis pour demander à Trump de remettre en cause les nouveaux standards d’émission mis au point par l’administration Obama, et qui doivent entrer en vigueur en 2022. Une lettre signée également par... Volkswagen.
Olivier Petitjean
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Photo : Albertizeme CC