Des jeans pas très cleans
La plupart de nos jeans sont fabriqués en Chine, à Zhongshan. Dans le sud-est du pays, juste en face de Hong-Kong, de l’autre côté du delta de la rivière des perles. Dans un rapport publié en décembre dernier, Greenpeace met en évidence les taux de pollution très élevés de ce delta. Et tire la sonnette d’alarme sur une nécessaire régulation de cette industrie par le gouvernement chinois, mais aussi par les consommateurs occidentaux, friands de jeans chics et peu chers.
Dans la capitale du jean, se serrent quelques 500.000 travailleurs migrants venus des zones rurales déshéritées proches ou éloignées de Zhongshan. En 2008, ils ont confectionné plus de 260 millions de paires de jeans – soit 60% de la production totale de la Chine et 40% des jeans vendus aux États-Unis chaque année. La plupart de ceux et celles qui s’échinent jusque parfois 18 heures par jour gagnent un salaire mensuel de 150 euros.
Dans les rues de la ville, on compte de plus en plus de grandes et petites usines. Ainsi que quantité d’ateliers familiaux. Les adultes, les anciens mais aussi les enfants y travaillent. Toute la journée pour certains. Des jours sans école. Le garçon que l’on voit sur cette photo gagne 0,15 yuan (1,5 centime d’euros) par jour pour couper les fils qui dépassent des 200 paires de jeans quotidiennes dont il assure la « finition ».
En plus d’exploiter les travailleurs, l’industrie textile exporte dans les eaux locales d’énormes quantités de polluants. On retrouve notamment dans les eaux des rivières locales cinq métaux lourds – cadmium, chrome, mercure, plomb et cuivre - dans des quantités bien supérieures aux normes autorisées dans le pays. En cause : les procédés de teinture, lavage, blanchiment et impression qui nécessitent de grands volumes d’eau ainsi que des métaux lourds et autres produits chimiques.
« Parfois, nous ne pouvons même pas ouvrir nos fenêtres, cela sent trop mauvais », explique une riveraines des rivières dans lesquelles les eaux usées des usines textiles sont directement rejetées. Si les anciens avaient l’habitude de la boire et de s’y baigner, les ados d’aujourd’hui n’ont aucun souvenir de voir ces eaux pures. Et pour cause, l’industrie textile s’y est installée voici 20 ans. Répondant en cela au célèbre conseil de Deng Xiaoping déclarant alors « enrichissez vous ! »
Autrefois fertiles, puisque les abord du delta étaient de très bonnes terres agricoles, les sols aux alentours de Zhongshan sont devenus incultivables. Parce qu’abandonnés, asséchés et très pollués. Dans certains endroits, les taux de cadmium enregistrés étaient ainsi 128 fois supérieurs à la concentration moyenne autorisée en Chine. Les habitants de ces contrées rencontrent divers problèmes de santé, parmi lesquels des maladies de la peau et des problèmes de stérilité. Les personnes sont exposées 24h/24 à la pollution chimique : le jour sur le lieu de travail et la nuit dans leurs maisons qui jouxtent des cours d’eau extrêmement pollués.
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Faites un donQuand Adidas, Calvin Klein, H&M ou Lacoste perturbent vos hormones
La présence de perturbateurs hormonaux pourtant interdits dans l’Union européenne a été détectée dans des vêtements de 14 grandes marques. C’est ce que montre un rapport de Greenpeace, intitulé « Dirty Laundry 2 » et rendu public le 22 août 2011 à Pékin. Parmi les marques concernées : Adidas, Calvin Klein, Converse, H&M, Lacoste, Nike, Puma, Ralph Lauren...
Greenpeace a analysé des échantillons de vêtements pour hommes, femmes ou enfants, achetés dans 18 pays, notamment en Europe, et fabriqués dans une douzaine de pays, en particulier d’Asie. Résultat ? Des « éthoxylates de nonylphénol (NPE) » [1] ont été détectés dans les deux tiers de ces échantillons. Ce produit chimique est très souvent utilisé comme détergent dans l’industrie textile. Dans les égouts, le NPE se décompose en nonylphénol, un perturbateur hormonal, qui peut « contaminer la chaîne alimentaire » et s’accumuler au sein des organismes vivants, « menaçant leur fertilité, leur système de reproduction et leur croissance », décrivent les responsables de l’ONG. Un produit chimique toxique et persistant, « dangereux même à de très faibles doses », explique le rapport.
Un problème pour les ouvriers qui fabriquent ces vêtements et les populations environnantes, mais aussi pour les consommateurs, car le NPE est également relâché lors des lavages. Ce que confirme l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) qui rappelle que les NPE sont classés « comme substance dangereuse prioritaire ». L’emploi de ce toxique pour le nettoyage industriel et sa mise sur le marché sont d’ailleurs interdits par une directive européenne depuis 2003.
Ce rapport montre que des vêtements contenant du NPE sont importés dans des pays où cette substance est pourtant interdite dans l’industrie, comme c’est le cas pour l’Union européenne. Et que l’utilisation de ce produit n’est pas limitée à l’industrie textile chinoise : de grandes marques de vêtements contribuent à la propagation de cette substance toxique pour l’homme et l’environnement.
Une enquête sans fin ?
Poursuivant sur sa lancée et encouragée par le succès de la campagne Detox [2] qui a accompagné la publication de ces révélations, Greenpeace a publié en 2012 deux nouveaux rapports sur la question.
Dirty Laundry : Reloaded poursuit l’enquête sur les NPE en étudiant l’impact sur les vêtements concernés de lavages répétés en machine, puis le devenir et la transformation des NPE dans l’environnement
Toxic Threads (« Fils toxiques ») étend le champ de la recherche en incluant de nouvelles marques, comme Zara, Armani et Levi’s, ainsi que des vêtements produits ailleurs qu’en Chine. Là encore, en sus d’une ribambelle de composés chimiques toxiques, des NPE ont été trouvés dans les deux tiers des échantillons.
Agnès Rousseaux & Nolwenn Weiler
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Photos de Zhongshan : © Lu Guang / Greenpeace
Photo mannequin : © source