TotalEnergies est désormais la dernière des majors pétro-gazières occidentales à ne pas avoir complètement suspendu ses activités en Russie. BP et Exxon ont coupé les ponts avec Rosneft, tandis que Shell et Chevron n’ont plus d’activités en leur nom en Russie. Au contraire du groupe français, qui n’a réduit sa présence que sous la contrainte, tout en tentant de préserver des investissements qui constituaient avant la guerre en Ukraine la clé de voûte de sa stratégie industrielle [1].
Malgré les innombrables crimes de guerre commis par Vladimir Poutine et son armée, TotalEnergies indique sur son site internet être toujours « actif dans tous les secteurs d’activités » du groupe en Russie. Face au risque financier considérable de ce choix plus que discutable, le groupe a décidé d’inscrire dans ses comptes des deux premiers trimestres 2022 des provisions de 4,1 et 3,5 milliards de dollars liées à « l’impact potentiel des sanctions internationales sur la capacité d’exécution du projet Arctic LNG 2 et sur la valeur de sa participation dans Novatek ». Une décision habile qui permet à Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, d’affirmer que la Russie leur occasionne des pertes colossales, bien qu’elles ne soient que théoriques à ce stade.
Novatek, le lien maintenu par TotalEnergies avec la Russie
Fin août, le groupe a également décidé de céder sa participation de 49 % dans la société Terneftegaz qui exploite le champ gazier de Termokarstovoïe. Ces parts ne sont pas allées bien loin puisque c’est le producteur de gaz naturel russe, Novatek, dont TotalEnergies possède toujours 19,4%, qui les a récupérées. Cela a été peu relevé : le groupe français s’est retiré de toute participation directe dans Terneftegaz, mais continue à bénéficier indirectement de son activité. Le groupe russe Novatek et son PDG Leonid Mikhelson font pourtant l’objet de sanctions occidentales. Tout comme l’oligarque russe Guennadi Timtchenko, jusqu’il y a peu actionnaire de référence de Novatek et avec lequel Patrick Pouyanné a longtemps co-présidé le Conseil économique de la CCI France Russie.
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Novatek, dont Gazprom est également actionnaire, est une entreprise qui ne connaît pas la crise : ses profits annuels 2021 ont été multipliés par six pour atteindre 5,7 milliards de dollars, et elle profite allègrement de l’augmentation massive du prix du gaz, sans que sa production ne semble pâtir des sanctions et restrictions des importations occidentales. Novatek, qui exploite notamment le gisement de gaz naturel liquéfié (GNL) de Yamal LNG en Arctique dont TotalEnergies possède 20%, a ainsi augmenté sa production de gaz de 2,9 % sur les neufs premiers mois de l’année pour atteindre 60,82 milliards de m3.
Possédant 19,4% des parts de Novatek, TotalEnergies a donc droit à un dividende conséquent. Il était déjà de 340 millions d’euros en 2021, en hausse de 45% par rapport à 2019. En 2022, ce dividende a explosé, malgré la guerre en Ukraine et les sanctions envers la Russie. L’Assemblée générale extraordinaire des actionnaires de NOVATEK qui s’est tenue le 28 septembre 2022 a ainsi validé une avance sur dividende d’environ 2,2 milliards d’euros, avec un versement effectif début octobre : TotalEnergies est donc supposé avoir reçu à cette occasion environ 430 millions d’euros de dividendes.
Les dividendes qui fâchent
TotalEnergies et Patrick Pouyanné n’ont-ils donc aucun scrupule à engranger des dividendes tirés des profits gaziers de Novatek ?
Début septembre, le conseiller économique du président ukrainien Volodimir Zelensky, Oleg Oustenki, et le conseiller présidentiel, Mikhailo Podoliak, ont demandé à TotalEnergies ce que le groupe comptait faire de ce dividende : l’accepter ? Le refuser ? Pour Kiev, ces 430 millions d’euros sont « tachés de sang » et devraient être récupérés pour assurer la « reconstruction de l’Ukraine ». A notre connaissance, TotalEnergies n’a toujours pas répondu publiquement à cette interpellation.
Interrogé par l’Observatoire des Mulinationales, TotalEnergies - tout en réaffirmant « sa condamnation la plus ferme de l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine » - se contente de renvoyer aux déclarations de Patrick Pouyanné lors du « Investor Day » à New York le 28 septembre dernier, lorsqu’il avait affirmé qu’il n’était « pas facile de recevoir du cash de Russie » et que, tout en reconnaissant en avoir reçu, indiquait qu’il voyait de « la complexité mois après mois ».
Les questions sont pourtant nombreuses. TotalEnergies et Patrick Pouyanné n’ont-ils donc aucun scrupule à engranger des dividendes tirés des profits gaziers de Novatek ? L’explosion des prix du gaz étranglent l’économie et les ménages européens, sommés par les autorités de faire des sacrifices, pendant que TotalEnergies engrange une part de ces profits gaziers russes indus. Comment est-il possible que ces versements de dividendes russes ne soient l’objet d’aucune sanction et d’aucun contrôle des pouvoirs publics ?
Maxime Combes
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Photo : Torbein Rønning cc by-nc-nd