Le CAC40 est le principal indice de la Bourse de Paris. Créé le 31 décembre 1987, il regroupe les principales sociétés cotées sur cette place financière, sélectionnées selon un ensemble de critères, notamment la capitalisation (autrement dit la valeur d’échange cumulée des actions de l’entreprise) et le volume des échanges de ces actions. Il est conçu pour donner un aperçu de l’évolution boursière des principales valeurs cotées à Paris.
Évidemment, le CAC40 est aussi bien plus que cela. Regroupant la plupart des grandes entreprises ayant leur siège social en France (ou l’ayant eu par le passé), il est devenu pour beaucoup un symbole de l’économie française dans son ensemble. « Quand le CAC40 va bien, l’économie va bien et la France va bien », semblent croire certains, y compris dans les plus hautes sphères du gouvernement.
C’est oublier que l’économie d’un pays ne saurait être réduite à ses plus grandes entreprises devenues des « multinationales ». Il y a les petites et moyennes entreprises, dont le destin est souvent lié pour le meilleur et pour le pire à celui des grandes – en tant que fournisseurs, sous-traitants ou prestataires. Le lien entre les grandes entreprises françaises et le tissu économique dans son ensemble est réputé plus distendu en France que dans d’autres pays, notamment l’Allemagne, en raison de leurs stratégies de long terme de délocalisation et d’investissement à l’étranger. Il y a aussi l’ensemble du secteur public ou à but non lucratif, confronté à l’emprise croissante des grands groupes.
Le CAC40 est donc aussi et surtout le symbole de la fusion croissante entre les grandes entreprises et les marchés financiers mondialisés – autrement dit, le symbole d’une économie de plus en plus mise au service des détenteurs de capitaux et de leurs exigences de profit, avec toutes les dérives que cela favorise. C’est pourquoi « le CAC40 » se trouve régulièrement sous le feu des critiques pour ses pratiques d’évasion fiscale, de rémunération des actionnaires, de suppressions d’emploi, ou encore de pollution. C’est l’objet de notre « véritable bilan annuel » que de dresser un état des lieux de ces questions, à partir des données publiées par les entreprises elles-mêmes.
La question de savoir en quoi la bonne santé boursière du CAC40 profite à l’économie réelle se pose plus que jamais.
En 2021, le CAC40 a atteint des niveaux historiques. Il a dépassé ses records précédents, datant de la bulle internet et télécom de 2000 et de l’euphorie pré-crise financière de 2007 – avant de redescendre quelque peu depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Cependant, la question de savoir en quoi la bonne santé boursière du CAC40 profite à l’économie réelle se pose plus que jamais.
On peut donc se demander en quoi le CAC40 – qui continue d’accaparer l’attention des dirigeants politiques et des analystes économiques – serait encore représentatif de « la France ». Le CAC40, ce sont des multinationales opérant à l’échelle mondiale, pour lesquelles le marché français ne représente souvent qu’une portion modeste de leurs revenus. Beaucoup des groupes qui le composent ont adopté le statut de « société européenne », et un nombre croissant d’entre eux a son siège social ailleurs (au Luxembourg, aux Pays-Bas ou en Suisse). C’est le deuxième objectif de cette publication que de contribuer à ce débat.
Qui est dans le CAC ?
Le CAC40 regroupe une bonne partie des grandes entreprises françaises, mais pas toutes. Par définition, il n’inclut pas les sociétés non cotées en bourse – par exemple celles qui sont la propriété de grandes familles comme Auchan, Lactalis ou encore CMA-CGM, ou encore les entreprises à capital 100% public (SNCF, La Poste, RATP). Ces entreprises non cotées sont tenues à moins d’obligations de transparence. Le CAC n’inclut pas non plus aujourd’hui ces symboles de l’industrie hexagonale que sont EDF ou Air France, en raison de la chute de leur valeur boursière.
La liste complète des sociétés composant l’indice au 1er septembre 2022 est la suivante : Air Liquide, Airbus, Alstom, ArcelorMittal, Axa, BNP Paribas, Bouygues, Capgemini, Carrefour, Crédit agricole, Danone, Dassault Systèmes, Engie, EssilorLuxottica, Eurofins, Hermès, Kering, L’Oréal, Legrand, LVMH, Michelin, Orange, Pernod-Ricard, Publicis, Renault, Safran, Saint-Gobain, Sanofi, Schneider Electric, Société générale, ST Microelectronics, Stellantis, Teleperformance, Thales, TotalEnergies, Unibail Rodamco Westfield, Veolia, Vinci, Vivendi et Wordline. Certaines sont bien connues des consommateurs et du grand public, d’autres beaucoup moins.
En termes de secteurs d’activité, la composition du CAC40 reflète certaines spécificités de l’économie française. L’automobile (Renault, Stellantis, Michelin), l’aéronautique (Airbus, Thales, Safran), la finance (Axa, BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale), rejoints plus récemment par le secteur du luxe (Hermès, Kering, LVMH et L’Oréal), y occupent une place importante. Les entreprises publiques privatisées ou dont l’État est encore actionnaire minoritaire sont extrêmement nombreuses. Les services (financiers, numériques ou autres) y occupent une place au moins aussi importante que celle de l’industrie « traditionnelle ».
Un condensé de l’histoire économique récente
À ses débuts en 1988, la capitalisation boursière du CAC40 s’élevait à l’équivalent, en francs, de 63 milliards d’euros. En septembre 2022, elle est de plus de 2000 milliards d’euros – soit une multiplication par 30. Les 5 premières capitalisations (LVMH, L’Oréal, Hermès, TotalEnergies et Sanofi) représentent près de la moitié de la capitalisation totale, contre le quart en 1988.
En septembre 2022, la capitalisation boursière du CAC40 est de plus de 2000 milliards d'euros – une multiplication par 30 depuis 1988.
La composition du CAC40 n’a cessé d’évoluer. Le dernier entré en septembre 2021 est le groupe Eurofins, spécialiste des tests médicaux et sanitaires qui a surfé sur l’épidémie de Covid-19. On dénombre toutefois 14 groupes actuellement dans l’indice qui y figuraient déjà lors de sa création il y a 34 ans : Air Liquide, Axa, Bouygues, Carrefour, Danone, L’Oréal, Legrand, LVMH, Michelin, Pernod Ricard, Saint-Gobain, Sanofi, Société générale et Thales (alors appelé Thomson-CSF). S’y ajoutent 10 groupes qui ont été absorbés par une autre entreprise du CAC, ont fusionné ou se sont restructurés, parmi lesquels Stellantis, EssilorLuxottica, Veolia et Vivendi.
L’évolution du classement des principales capitalisations boursières du CAC au fil du temps montre des permanences – comme le poids du secteur pétrolier à travers Total – mais aussi des euphories boursières transitoires, comme celles qui ont suivi la privatisation de France Télécom (leader du CAC40 entre 1997 et 2001) et plus tard celle d’EDF, aujourd’hui carrément sorti de l’indice. Aujourd’hui, ce sont trois groupes de luxe qui occupent le podium de tête du CAC40 en termes de capitalisation.
Une élite économique très soudée
Au-delà des histoires particulières de chaque groupe et de la variété des secteurs d’activité, le CAC40 se caractérise aussi par un degré particulièrement élevé de solidarité entre ses membres. Sa diversité économique a pour pendant une forte cohésion d’un point de vue stratégique et politique. On retrouve chez la plupart des groupes français les mêmes grandes orientations : la priorisation des dividendes, les délocalisations et l’investissement à l’étranger pour « aller chercher la croissance ailleurs »... Ses dirigeants savent aussi se serrer les coudes face aux politiques et face aux critiques.
Cette solidarité est organisée à travers des organisations thématiques (cercles regroupant les directeurs des ressources humaines, les directeurs juridiques ou les responsables des questions environnementales du CAC40 par exemple) ou bien des organisations de lobbying comme le Medef et surtout l’AFEP, Association française des entreprises privées. Celle-ci est le lobby des grandes entreprises et a la main sur toutes les questions de fiscalité, de droit ou de climat. S’y ajoutent les liens personnels entretenus dans les cercles de sociabilité des élites (Le Siècle, le Jockey et autres) et favorisés par le recrutement dans les mêmes grandes écoles, viviers de dirigeants du public comme du privé.
Cette solidarité repose aussi sur les liens croisés entre groupes du CAC40. Ces liens sont parfois capitalistiques : l’État, le Groupe Dassault et jusque récemment le groupe Arnault étaient actionnaires de plusieurs groupes du CAC ; L’Oréal possède une partie de Sanofi et Bouygues d’Alstom. Mais ils sont aussi personnels : de nombreux dirigeants d’entreprises du CAC siègent dans le conseil d’administration d’une autre, voire de plusieurs autres. C’est une pratique profondément ancrée en France. Ces liens entre dirigeants et administrateurs forment un réseau particulièrement dense, comme l’illustre le graphique ci-dessous.
À quelques exceptions près (les nouveaux venus Teleperformance et Eurofins), la plupart des groupes du CAC40 ont de nombreuses connexions avec les autres groupes de l’indice à travers leurs administrateurs et dirigeants, souvent plus que 10 et jusqu’à 19 pour Danone et 18 pour TotalEnergies et Orange.
Ces liens contribuent à la cohésion du CAC40, notamment en ce qui concerne les grandes orientations décidées en conseil d’administration, comme le niveau de versement de dividendes ou de rémunération patronale. Et ce, d’autant plus que s’y ajoutent des considérations financières. Les membres des conseils d’administration du CAC40 touchent des jetons de présence mais possèdent aussi souvent des actions des entreprises dont ils sont dirigeants ou administrateurs, de sorte qu’ils en retirent également des bénéfices pécuniaires à titre personnel.
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Infographies : Guillaume Seyral
Photo : Mark Hillary cc by