La Cour d’appel de La Haye vient de donner raison sur tous les points aux quatre plaignants nigérians qui, avec les Amis de la terre, avaient initié des poursuites judiciaires contre Shell aux Pays-Bas en 2008 suite à la contamination de leurs terres par le pétrole et la destruction de leurs moyens de subsistance.
En 2013, un jugement de première instance avait reconnu la responsabilité de Shell et l’avait condamnée à verser une compensation à seulement l’un des plaignants. Les deux parties avaient fait appel de la décision. Shell a multiplié les recours de forme pour faire avorter la procédure.
Sur cette affaire et plus généralement l’impact des activités de Shell au Nigeria, lire notre article récent : Vingt ans après la mort de Ken Saro-Wiwa, le Nigeria continue à souffrir des activités de Shell.
Non seulement la Cour d’appel a reconnu que les quatre Nigérians et les Amis de la terre pouvaient poursuivre Shell aux Pays-Bas, mais elle leur a également reconnu le droit d’accéder aux documents internes de l’entreprise relatifs à ses activités au Nigeria. L’avocate des Amis de la terre, Channa Samkalden, souligne l’importance de cet aspect de la décision [1] : « C’est la première fois dans l’histoire du droit que les tribunaux reconnaissent un droit d’accès aux documents internes d’une entreprise. Une décision légitime, car ces documents pourraient contenir des preuves importantes sur les déversements de pétrole causés par Shell et qui affectent les terres et les mares de ces paysans. L’affaire pourra enfin être véritablement jugée sur le fond. »
Responsabilité juridique des multinationales
Pour les Amis de la terre Pays-Bas, qui rappellent que cette affaire ne représente que la « pointe de l’iceberg », cette décision juridique historique « ouvre la voie aux victimes de pollutions environnementales et de violations des droits humains dans le monde entier pour se tourner vers les tribunaux des Pays-Bas lorsqu’une entreprise néerlandaise est impliquée ». Une possibilité qui reste rare au niveau mondial, les multinationales réussissant généralement à passer entre les filets des différents systèmes juridiques nationaux. Mais cette situation d’impunité est de plus en plus remise en cause.
En France, une proposition de loi est sur la table, qui permettrait de la même manière de responsabiliser juridiquement les grands groupes tricolores pour les violations environnementales ou des droits humains occasionnées par leurs activités ailleurs dans le monde. Votée en première lecture par les députés, elle a été rejetée par le Sénat (lire notre article), et doit être réexaminée à l’Assemblée au printemps 2016. Le projet est férocement combattu par les milieux patronaux au motif qu’il nuirait à la « compétitivité » des entreprises françaises, parce qu’aucun autre pays n’offrirait ainsi la possibilité de poursuivre ses multinationales. Un argumentaire qui paraît de moins en moins tenable.
Olivier Petitjean
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Photo : Luka Tomac/Friends of the Earth International