17.01.2023 • Entre soi

Pour le ministre délégué au Numérique, 70% de rendez-vous avec l’industrie, 4% avec la société civile

Entre septembre et décembre 2022, le ministre délégué au Numérique Jean-Noël Barrot a divulgué 176 rendez-vous dans son agenda. 70% de ces rendez-vous ont eu lieu avec des industriels principalement français ou mais aussi étrangers, dont deux fois avec Google. Par contre, il n’a rencontré des associations qu’à 7 reprises, et uniquement sur des sujets de protection des populations fragiles ou d’insertion. Syndicats, consommateurs et associations portant une vision non commerciale du numérique ne semblent pas avoir eu l’opportunité de faire entendre leur voix.

Publié le 17 janvier 2023 , par Olivier Petitjean

Dans notre rapport « GAFAM Nation », paru en décembre, nous mettons en lumière – entre autres leviers d’influence des géants du web – l’accès privilégié dont ils bénéficient auprès des décideurs. Le scandale des « Uber Files » en juillet dernier, ainsi qu’une enquête du journaliste Alexandre Léchenet, ont montré la complaisance avec laquelle les dirigeants français - à commencer par le locataire actuel de l’Élysée - ont accueilli les représentants d’entreprises comme Uber, Amazon ou Google et répondu à leurs sollicitations.

Nous y pointions un enjeu en particulier : celui de la transparence des rendez-vous entre responsables politiques et industriels. À Bruxelles, les hauts échelons de la Commission européenne sont tenus de divulguer l’ensemble de leurs contacts avec des représentants d’intérêts. C’est ainsi que l’on sait que Google a bénéficié de pas moins de 72 rendez-vous avec la Commission présidée par Ursula von der Leyen depuis son entrée en fonction en 2019, Meta (Facebook) 66, Microsoft 65, Apple 32 et Amazon 27.

Transparence en pointillés

En France, il n’existe aucune obligation de ce type. Certains ministres rendent publique une liste à peu près complète de leurs rendez-vous, d’autres se contentent de publier irrégulièrement un agenda qui inclut surtout les visites et rendez-vous officiels (parfois sans possibilité d’accéder aux archives), d’autres encore ne dévoilent rien du tout.

Prenons le cas du ministre délégué au Numérique, Jean-Noël Barrot, économiste, député depuis 2017, rejeton d’une illustre lignée politique et... grand frère de la directrice de la communication d’Uber France (il s’est engagé à se déporter sur tous les dossiers concernant l’entreprise de plateforme).

Si l’on se rend à la page du site du ministère consacré à son agenda, en apparence le secrétaire d’État ne rend pas public ses rendez-vous : son agenda est entièrement vide. Mais il y a une subtilité : en allant dans les semaines précédentes et en cliquant sur « Téléchargez l’agenda », on accède à des documents pdf avec toutes les informations souhaitées. Il fallait le savoir. Selon les attachés presse du ministère, le problème serait en passe d’être réglé.

Reconnaissons à Jean-Noël Barrot le mérite d’être – au-delà des difficultés techniques que semblent rencontrer Bercy pour rendre l’information facilement accessible – beaucoup plus transparent que la plupart de ses collègues du gouvernement.

Soutenez l’Observatoire

Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com’ du CAC 40.

Faites un don

Pensée unique ?

Si l’on analyse le détail des rendez-vous divulgués par le ministre délégué, cependant, on se rend compte qu’il y a tout de même un problème. Nous avons décompté 176 rencontres dans son agenda sur les quatre mois entre début septembre et fin décembre 2022. Celui-ci comporte d’ailleurs quelques trous. Entre le 26 septembre et le 2 octobre, puis entre le 10 et le 16 octobre, puis après le 12 décembre, Jean-Noël Barrot ne déclare aucun rendez-vous.

Qui a rencontré, concrètement, le ministre chargé du numérique ? Dans un secteur où le mélange des genres et la collaboration public-privé sont la norme, il n’est pas toujours facile de catégoriser les acteurs. Notre décompte fait cependant apparaître des dissymétries flagrantes. Entre début septembre et fin décembre, Jean-Noël Barrot a rencontré à 40 reprises des personnalités issues du secteur public au sens large (élus, ministres étrangers, agences et services ministériels), à 8 reprises des représentants du monde de la recherche et de l’enseignement supérieur, à 16 reprises des entreprises étrangères (dont Google, Meta, TikTok et Twitter), à 17 reprises des grandes entreprises françaises comme Orange, Thales ou Dassault, à 33 reprises des start-ups ou des fonds d’investissement français, et à 25 reprises des associations d’entreprises. Il a en outre participé dans le même temps à 31 événements (conférences, salons, visites) organisées par des associations d’industriels.

Dans le même temps, il n’a eu que 7 rencontres avec des organisations de la société civile, soit environ 4%, contre 70% pour les contacts avec les acteurs économiques. Et encore, il s’agit uniquement d’associations dédiées à l’insertion ou à la protection des publics fragiles. Syndicats, associations de consommateurs et associations portant une vision non commerciale du numérique n’ont pas eu l’opportunité de faire entendre leur point de vue.

Comme quoi la transparence en elle-même n’est qu’une première étape – nécessaire mais insuffisante. La seconde est de faire en sorte que nos élus et nos dirigeants écoutent parfois d’autres voix que celles de l’industrie et de ses alliés.

Olivier Petitjean (avec Chiara Pignatelli)

Lire aussi Pantouflage : l’ex ministre Julien Denormandie se rit des règles déontologiques

— 
Photo : © Nicolas DUPREY/ CD 78 / Sous licence cc by-nd via flickr

L’Observatoire est à votre écoute

  • Besoin d’éclaircissements ?
  • Une question ?
  • Une information à partager ?
Contactez-nous