24.10.2022 • « Uber Files 2 » à Bruxelles

L’offensive d’Uber, Deliveroo et Bolt à Bruxelles contre les droits des travailleurs

Alors que le Parlement européen s’apprête à auditionner Uber et le lanceur d’alerte Mark McGann suite au scandale des « Uber Files », un nouveau rapport expose comment les entreprises de plateformes continuent de mener un lobbying agressif à Bruxelles. En ligne de mire : le projet de directive européenne sur les droits des travailleurs des plateformes.

Publié le 24 octobre 2022 , par Lora Verheecke

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« Les syndicats ne parlent pas au nom des travailleurs.euses. » On pourrait imaginer cette phrase dans la bouche d’un patron aux États-Unis ou dans un autre pays hostile aux droits des travailleurs et à leurs représentants. En l’occurrence, ces mots sont ceux de Bolt, une plateforme estonienne offrant des services de livraison et de locations de trottinettes et véhicules. Ils étaient adressés à la Commission européenne, alors qu’elle préparait un projet de directive, aujourd’hui en cours d’examen, sur les droits des travailleurs.ses des plateformes. Bolt emploie plus de 3 000 personnes dans plus de 45 pays. Et Bolt ne veut pas d’une loi européenne pour améliorer les conditions de travail de ses employés. Ce n’est pas la seule.

Dans un nouveau rapport, l’Observatoire des multinationales détaille l’ampleur de l’offensive lancée par les plateformes comme Uber, Bolt et autres dans la capitale européenne contre le principe de l’obtention d’un contrat de travail pour tous leurs employés. À travers deux associations d’entreprises, le recours aux services d’agences de lobbying, le financement de think tanks et d’études à l’indépendance « questionnable » et autres, les plateformes se sont attachées à tuer dans l’oeuf un projet de loi européenne qui, pour une fois, avait une réelle portée sociale.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La Commission, pendant la phase d’écriture de la loi, a rencontré des représentant.e.s des plateformes plus d’une centaine de fois. En juin 2020, Wolt, une plateforme finlandaise de livraison de repas et de marchandises, déclarait un seul lobbyiste à Bruxelles. Ils sont aujourd’hui 9. Uber est passé d’un budget annuel de lobbying de 50 000 euros en 2014 à plus de 700 000 euros aujourd’hui. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le rapport, basé sur des documents officiels de la Commission et les données que les lobbyistes européens veulent bien diffuser, ne donne pas pour autant une image complète des activités d’influence des plateformes. En effet, de source anonyme, on sait que des cabinets d’avocat comme Linklaters travaillent pour le secteur des plateformes à Bruxelles, sans le divulguer dans le registre de transparence européen.

Les plateformes ciblent particulièrement leurs adversaires, les syndicats, mais aussi leurs propres employés qui tentent d’obtenir des droits sociaux par les tribunaux - Bolt, Uber et Free Now allant même jusqu’à dire que ces procès sont uniquement intentés pour leur extorquer de l’argent.

Lors de leurs nombreuses rencontres avec les fonctionnaires et dirigeants de la Commission, ce sont les mêmes arguments qui ont été répétés en boucle. Selon Uber et compagnie, leurs employés ont de très bonnes conditions de travail, de très bonnes rémunérations et ils sont très satisfaits de leur sort. Autre argument favori des multinationales en période de crise économique : le chantage à l’emploi. Alors même que le PDG d’Uber reconnaissait devant ses financeurs que l’entreprise pourrait faire des profits tout en offrant des contrats de travail, il affirmera à la Commission qu’une loi européenne offrant plus de droits sociaux et de meilleurs salaires à ses employés conduirait à une perte de 50 grandes entreprises d’emplois. En fin de compte, les plateformes ne sont pas très différentes des autres secteurs qui tentent de plier les lois à leurs intérêts. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elles utilisent les mêmes méthodes de lobbying. Tout comme les grandes associations patronales dont Uber fait partie (BusinessEurope), les plateformes demandent à s’auto-réguler, à créer leurs propres codes de conduite, sans contraintes, sans possibilités de sanctions ou de jugements en cas de non-respect.

La Commission a publié son projet de directive en décembre dernier. Le sort des travailleurs des plateformes européens est aujourd’hui entre les mains des États membres au Conseil et des députés européens. Ce 25 octobre, suite au scandale des « Uber Files », les députés européens auditionneront Uber sur leur stratégie d’influence européenne. Une des premières questions à poser serait aux institutions européennes elles-mêmes : que font-elles pour s’assurer que les voix des travailleurs.euses des plateformes, celles que Bolt ne reconnait pas chez les syndicats, sont bien entendues ?

Lora Verheecke

Infographie : Clémence Hutin et Sarah Reader
Photo : Jon Crel cc by-nd

Boîte Noire

Le rapport « Uber Files 2 à Bruxelles. Les coursiers du lobbying » a été commandé et financé par Leila Chaibi et le groupe La Gauche au Parlement européen.

Version anglaise du rapport ici.


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