Les conclusions ci-dessous sont basées sur des profils de quinze entreprises, dont certaines des plus grandes multinationales de l’énergie, qui se présentent comme « vertes » du fait de de l’énergie renouvelable qu’elles produisent (ou prétendent produire) ou des technologie de transition qu’elles fabriquent. Ces entreprises prétendent être à la pointe de l’action climatique et, ce faisant, veulent donner l’impression au public qu’il peut se fier aux forces du marché et à l’industrie pour décarboner la société. Pourtant, ces profils suggèrent que ces entreprises n’ont en réalité jamais cessé de saper les efforts en vue d’une véritable transition énergétique.
Les quinze entreprises étudiées ont consacré la somme total de 130,77 milliards de dollars US en dividendes et 24,80 milliards de dollars US en rachats d’actions entre 2016 et 2022 - tout en continuant à demander de l’argent public pour investir dans de nouveaux projets. Au total, elles ont réalisé un bénéfice de 175,86 milliards de dollars US entre 2016 et 2022. Cela représente plus de sept fois le soutien financier réel que les pays riches ont apporté aux pays pauvres pour lutter contre le changement climatique et s’y adapter (bien qu’ils se soient engagés à verser 100 milliards de dollars US par an en 2009) [1].
Ces multinationales ont continué à accumuler des profits alors que le monde – en particulier les communautés pauvres, du Sud et racisées – souffrait de la pandémie de COVID-19, du dérèglement climatique, de la pire crise énergétique depuis des décennies et de la crise du coût de la vie qui s’en est suivie, plongeant des dizaines de millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté [2].
Les entreprises étudiées sont principalement (mais pas exclusivement) des entreprises énergétiques basées en Amérique du Nord et en Europe : British Gas/Centrica, EDF Renouvelables, Enbridge, Endesa, E.On, Engie, Iberdrola, NextEra Energy, Ørsted, Southern Company, Vattenfall. Une autre entreprise, Adani Green, est basée en Inde. Nous avons également inclus dans notre étude deux fournisseurs d’équipements clés pour les technologies solaires et éoliennes (JinkoSolar et Siemens Gamesa) et un fabricant de voitures et de batteries (Tesla).
Nous avons sélectionné cet échantillon de multinationales aux métiers divers pour démontrer la nécessité de se réapproprier et transformer le secteur de l’énergie dans son ensemble – de la production d’équipements à la vente au détail, de la production à la distribution, des véhicules électriques au stockage.
Les multinationales « vertes » sont-elles vraiment vertes ?
Conclusion n°1 : La plupart des multinationales qui se présentent comme « vertes » exploitent toujours des énergies fossiles
À en croire les sites web et les rapports annuels de ces multinationales, on pourrait croire qu’elles se sont pleinement engagées en faveur des énergies renouvelables et qu’elles ont arrêté depuis longtemps d’exploiter des énergies fossiles. C’est loin d’être le cas. En dépit de ce que leur communication publique pourrait suggérer, les énergies renouvelables ne représentent le plus souvent qu’une part limitée du mix énergétique de la plupart des entreprises productrices d’électricité de notre échantillon. Dans de nombreux cas, les énergies renouvelables ne représentent qu’un complément relativement modeste au mix énergétique existant de l’entreprise, plutôt qu’une transformation radicale de ses activités.
Dans de nombreux cas, les énergies renouvelables ne représentent qu'un complément relativement modeste au mix énergétique existant de l'entreprise, plutôt qu'une transformation radicale de ses activités.
Les compagnies d’électricité américaines, par exemple, n’ont aucune intention d’abandonner à court terme leurs activités liées aux énergies fossiles, car celles-ci restent très rentables. NextEra Energy prétend posséder le plus important portefeuille d’actifs éoliens et solaires au monde et se présente comme une entreprise pionnière en matière d’énergie propre [3]. Pourtant, l’entreprise exploite de nombreuses centrales à énergies fossiles et sept oléoducs et gazoducs. En 2020, 98,9 % des 2,92 milliards de dollars US de profit de NextEra provenaient de deux filiales : FPL et Gulf Power. Cette année-là, FPL a admis que 73 % de son énergie provenait du gaz, tandis que Gulf Power déclarait que 98,7 % de sa production d’énergie provenait du charbon et du gaz [4].
Certaines entreprises autoproclamées « vertes », telles que Southern Company, finançaient la désinformation climatique pas plus tard qu’en 2022 [5]. Depuis les années 1990, l’entreprise a dépensé au moins 62 millions de dollars US pour financer le déni du changement climatique, soit presque deux fois plus que les 33 millions de dollars US dépensés par Exxon pour des organisations climato-sceptiques au cours de la même période [6]. Pas plus tard qu’en 2017, le patron de Southern affirmait encore que le changement climatique n’était pas réel [7].
Prenons encore l’exemple d’Enbridge. Bien qu’elle prétende être l’une des plus grandes entreprises d’énergie renouvelable au Canada, environ 95 % de ses revenus sont issus des énergies fossiles [8]. Enbridge exploite actuellement le plus long réseau de pipelines de pétrole brut et de liquides au monde, avec 28 661 kilomètres d’oléoducs [9] et 123 189 kilomètres de gazoducs en Amérique du Nord [10].
Le groupe indien Adani est allé jusqu’à utiliser sa filiale d’énergie renouvelable Adani Green pour financer ses activités dans le charbon. Des enquêtes menées suite à un rapport de la société de recherche en investissements Hindenburg ont révélé que le groupe Adani avait utilisé des actions d’Adani Green comme garantie pour obtenir une facilité de crédit de plusieurs millions destinée à financer son projet de charbon Carmichael en Australie [11].
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Faites un donConclusion n°2 : Certaines entreprises énergétiques européennes ne se sont désengagées des énergies fossiles qu’en vendant ou en cédant leurs actifs, qui continuent d’être exploités
Certaines entreprises européennes sensibles à la pression de l’opinion publique ont vendu leurs actifs liés aux énergies fossiles à des entreprises moins exposées. Si cela contribue à « verdir » le portefeuille des entreprises qui se défont de ces actifs, cela n’entraîne aucune réduction effective de la consommation d’énergies fossiles ni des émissions de gaz à effet de serre qui en résultent.
Par exemple, lorsque Engie a décidé de se concentrer sur les énergies renouvelables, le groupe s’est contenté dans la majorité des cas de revendre ses actifs dans le secteur du charbon à des tiers au lieu de les fermer [12]. En 2017, Engie a également vendu certains de ses actifs gaziers à Total [13]. Les émissions de gaz à effet de serre sont restées les mêmes, mais Engie a soigné son image.
En 2016, EPH a également acheté à Vattenfall plusieurs centrales à charbon et mines de lignite allemandes, aidant Vattenfall à réduire ses émissions de carbone de 70 % du jour au lendemain. EPH continue d'exploiter ces actifs à leur entière capacité.
De la même manière, Ørsted a vendu pour 1,05 milliard de dollars US trois de ses champs gaziers à Ineos, un géant de la chimie détenu par le milliardaire britannique Jim Ratcliffe, qui continue d’en extraire le gaz [14]. British Gas a aussi vendu ainsi une grande partie de son portefeuille de gaz domestique. Il s’agit notamment de la centrale électrique au gaz de 900 mégawatts de Langage, dans le Devon, et de la centrale au gaz de 2,3 gigawatts de South Humber Bank, dans le Lincolnshire, toutes deux acquises par Energetický a Průmyslový Holding (EPH), une société privée contrôlée par le milliardaire tchèque Daniel Křetínský [15]. Les deux centrales fonctionnent toujours à plein. En 2016, EPH a également acheté à Vattenfall plusieurs centrales à charbon et mines de lignite allemandes, aidant Vattenfall à réduire ses émissions de carbone de 70 % du jour au lendemain. EPH continue d’exploiter ces actifs à leur entière capacité [16].
Dans d’autres cas, les entreprises se sont construites une image verte en séparant leurs actifs liés aux énergies fossiles dans des entreprises distinctes. C’est la stratégie d’E.ON qui, en 2016, a scindé son activité de production d’électricité à partir de sources fossiles et l’a logée dans une nouvelle société, baptisée Uniper [17]. En 2020, une enquête de Sky News a démontré qu’Uniper était le troisième plus grand producteur d’émissions de carbone au Royaume-Uni [18]. En 2022, le gouvernement allemand a décidé de racheter Uniper [19], ce qui donne au public allemand une opportunité d’exiger de ses dirigeants qu’ils réduisent d’urgence ses activités liées aux énergies fossiles.
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Conclusion n°3 : Les multinationales « vertes » repeignent leurs actifs énergétiques polluants en vert par le biais des certificats verts et de la compensation carbone
De nombreuses compagnies d’électricité en Europe utilisent des certificats verts pour dissimuler le fait qu’elles restent dépendantes des énergies fossiles et d’actifs nucléaires. Des « certificats d’origine renouvelable » sont attribués aux entreprises pour chaque unité d’électricité renouvelable qu’elles produisent, qui peuvent être revendus à d’autres entreprises indépendamment de l’électricité renouvelable à laquelle ces certificats étaient précédemment attachés [20]. Les entreprises qui achètent ces certificats peuvent donc faire impunément du « greenwashing » [21] en se présentant comme des fournisseurs d’énergie renouvelable, même sans aucun investissement dans la production d’électricité solaire ou éolienne ou sans modification de leur mix énergétique.
Les entreprises qui achètent ces certificats peuvent se présenter comme des fournisseurs d'énergie renouvelable, même sans aucun investissement dans la production d'électricité solaire ou éolienne ou sans modification de leur mix énergétique.
Par exemple, EDF et Engie proposent à leurs clients des programmes d’énergie « verte » ou « zéro carbone » qui reposent en grande partie sur des certificats d’origine [22]. Cela donne un cachet vert à l’électricité qui provient principalement, dans le cas de la France, de réacteurs nucléaires [23], ou de grandes centrales hydroélectriques produites par des entreprises scandinaves.
En 2019, E.ON a déclaré que l’ensemble de ses 3,3 millions de clients au Royaume-Uni passaient à des « plans d’énergie 100 % renouvelable » en achetant l’équivalent en certificats verts [24]. Mais un rapport publié en avril 2021 par le cabinet de conseil Baringa a estimé que seulement 49 % de l’électricité produite par E.ON provient en réalité de sources renouvelables [25].
Le cas de British Gas est encore plus frappant. Une enquête a montré que British Gas était le plus gros acheteur de certificats verts parmi les entreprises énergétiques du Royaume-Uni [26]. L’entreprise a acheté 20,1 millions de certificats à un peu plus d’une livre sterling par client et par an en 2019-2020, puis 21 millions de certificats l’année suivante [27]. En outre, British Gas propose à ses clients un tarif « électricité 100 % renouvelable » composé de 10 % de biométhane (souvent issu d’élevages non durables) et de 90 % de compensation carbone [28]. La compensation carbone repose souvent sur des projets de développement, souvent dans des pays à faibles revenus, associés à des déplacements de populations, à l’accaparement de terres [29] et à la création de monocultures [30]. Grâce à la compensation et à la certification, British Gas se présente comme une entreprise écologique, bien que sa société mère, Centrica, ait revendu tous ses actifs éoliens en 2017 [31], et que l’énergie solaire ne représente que 4 % de son mix énergétique [32].
Conclusion n°4 : La plupart des énergies qualifiées de « vertes » par les multinationales ne le sont pas vraiment
Il y a souvent une confusion délibérée sur ce qui doit être considéré comme une énergie « verte ». Ce terme peut être utilisé de manière à englober des types de production d’énergie très problématiques, tels que le nucléaire [33], les grands barrages hydroélectriques [34], la biomasse/bois [35] ou encore l’incinération des déchets [36].
En 2020, NextEra a déclaré que 98 % de son énergie était produite à partir d'un « mélange diversifié de sources propres ou renouvelables ». Aux côtés de l'éolien et du solaire, ce « mélange diversifié » inclut le gaz naturel et l'énergie nucléaire.
En 2020, NextEra a déclaré que 98 % de son énergie était produite à partir d’un « mélange diversifié de sources propres ou renouvelables » [37]. Aux côtés de l’éolien et du solaire, ce « mélange diversifié » inclut le gaz naturel et l’énergie nucléaire. Il s’agit manifestement de greenwashing. Bien que la combustion du gaz naturel émette moins de CO2 que celle du charbon ou du pétrole, le gaz reste une source d’énergie fossile dont l’impact sur le changement climatique est souvent dangereusement minimisé. Le gaz naturel est principalement composé de méthane. Des études récentes estiment que dans les 20 premières années suivant la libération du méthane, son potentiel de perturbation du climat est de 86 à 105 fois plus puissant que celui du CO2 [38]. Quant à l’énergie nucléaire, il est difficile de qualifier de « propre » une source d’énergie qui produit des déchets radioactifs dangereux.
Southern Company a utilisé la centrale électrique de Kemper, dans le Mississippi, pour démontrer son engagement en faveur de l’énergie « verte ». Southern a affirmé que la centrale produirait 582 mégawatts d’électricité à base de « charbon propre » en utilisant la technologie de capture du carbone [39]. Haley Barbour, principal lobbyiste de Southern avant qu’il ne devienne gouverneur du Mississippi, voyait dans cette centrale un moyen de gagner 270 millions de dollars US de subventions fédérales et de soutenir l’industrie locale d’extraction de lignite. Cependant, le projet a dépassé son budget d’au moins 5,7 milliards de dollars US et n’a jamais été achevé : la construction a été suspendue et l’équipement de capture du carbone a été détruit lors d’une explosion contrôlée [40]. Ce sont les clients de Southern qui ont payé pour les surcoûts de cette expérimentation désastreuse d’une technologie non prouvée [41].
Socialisation des coûts, privatisation des profits
Conclusion n°5 : Les projets d’énergies renouvelables des multinationales « vertes » reposent généralement sur des subventions publiques
Les multinationales vertes s’appuient sur de multiples formes de soutien public, parmi lesquelles des subventions directes, des prix d’achat garantis, des contrats d’achat d’électricité avec les gouvernements ou les entreprises publiques, et des crédits d’impôt. Les mécanismes de soutien varient d’un pays à l’autre, mais ils jouent partout un rôle crucial pour déterminer quelles capacités renouvelables seront construites et à quel endroit.
Dans un modèle de marché, la production d'énergie renouvelable dépend fortement des subventions ou des prix de gros élevés, ce qui signifie que ce sont les contribuables ou les consommateurs, par le biais de leurs factures d'énergie, qui paient pour le retour sur investissement des multinationales.
Par exemple, le programme d’obligation de production renouvelable du gouvernement britannique oblige les entreprises d’électricité à produire de l’électricité renouvelable ou à payer pour que d’autres le fassent [42]. Les projets d’éoliennes en mer se voient garantir jusqu’à 2 livres sterling pour chaque livre sterling d’électricité produite pendant 15 à 20 ans, en plus des revenus tirés de la vente d’électricité au prix du marché, lequel est de fait fixé par les entreprises d’énergies fossiles [43].
Ce dispositif a contribué à financer la construction du London Array, le plus grand parc éolien offshore opérationnel au monde avec 630 mégawatts, qui a été achevé en 2013 [44]. DONG Energy (aujourd’hui Ørsted) détenait initialement une part de 50 % dans le projet, qui a ensuite été ramenée à 25 %, tandis qu’E.ON détenait une part de 20 %, qui a ensuite été ramenée à 30 % [45]. La Renewable Energy Foundation, un lobby anti-éolien, estime que pour la seule année 2020, le London Array a reçu une subvention de 285 millions de livres sterling et que le projet éolien offshore de Hornsey a reçu une subvention de 479 millions de livres sterling [46]. Selon le New York Times, en 2010, le gouvernement britannique a garanti que le parc éolien de Londres serait payé 0,18 dollar par kilowattheure, soit bien plus que le prix payé par les consommateurs (0,14 dollar par kilowattheure) et l’industrie (0,11 dollar) à l’époque [47].
En Allemagne, un système similaire, appelé « Einspeisetarif » (tarif de rachat garantis), est entré en vigueur en janvier 1991 [48]. Il garantit un prix fixe pour la production d’énergie renouvelable sur une période donnée, généralement de deux décennies. Cette garantie est financée par une surtaxe sur les consommateurs d’électricité, qui ont déboursé 24 milliards d’euros supplémentaires pour financer les énergies renouvelables en 2020, selon une source [49]. Une autre source (International Institute for Sustainable Development) prévoit que l’Allemagne aura dépensé au total plus de 30 milliards d’euros pour subventionner l’énergie éolienne au fil du temps, dont une grande partie bénéficiera probablement à des entreprises manufacturières telles que Siemens Gamesa [50].
Engie est un autre exemple. En tant que développeur de projets solaires, éoliens et hydroélectriques, Engie bénéficie de divers programmes mis en place par les gouvernements pour accélérer la transition énergétique, tels que des contrats d’achat d’électricité avec les gouvernements garantissant les prix d’achat et des mécanismes de soutien des prix (comme en France) [51]. Engie a également bénéficié de diverses formes d’aides publiques liées aux fonds de sauvetage et de relance de l’UE en réponse à la crise du COVID-19 [52].
De fait, sans ces aides publiques, la production d’énergies renouvelables ne serait pas rentable. Les énergies renouvelables ont des coûts initiaux élevés, ainsi que des coûts d’infrastructure qui augmentent encore lorsque les énergies renouvelables représentent plus d’un quart de l’ensemble des sources d’énergie [53]. Ensuite, lorsque les coûts de production diminuent et que les prix de gros de l’électricité baissent, les marges bénéficiaires se réduisent. Lorsque l’Allemagne et la Chine ont supprimé leurs subventions alors que les prix étaient bas, les investissements ont chuté car les énergies renouvelables n’étaient plus rentables [54]. Cela prouve que dans un modèle de marché, la production d’énergie renouvelable dépend fortement des subventions ou des prix de gros élevés, ce qui signifie que ce sont les contribuables ou les consommateurs, par le biais de leurs factures d’énergie, qui paient pour le retour sur investissement des multinationales. Dans un système public, le bénéfice reviendrait au public.
Tesla, Ørsted, JinkoSolar et Siemens Gamesa, les quatre fabricants de technologies pour la transition de notre échantillon, dépendent aussi fortement des fonds publics. Elon Musk a reçu plusieurs milliards de dollars US de subventions gouvernementales pour faire grandir Tesla [55]. De son côté, Ørsted a pu développer un certain nombre de projets d’énergie éolienne offshore en profitant des subventions introduites dans les années 1990 et 2000 à travers l’Europe, notamment au Danemark et au Royaume-Uni [56]. Aujourd’hui encore, Ørsted compte bien profiter des milliards de subventions offerts par la loi américaine « Inflation Reduction Act » de 2022 [57].
La croissance explosive de JinkoSolar n’aurait pas été possible sans le soutien de la Chine, depuis 2004, à la fabrication et à l’exportation de panneaux solaires [58]. En 2012, l’entreprise a reçu un financement de 13 milliards de yens (1,1 milliard de dollars US) de la part de la Banque chinoise de développement [59].
Siemens Gamesa doit également son succès aux généreuses subventions accordées à l’énergie éolienne, notamment par les gouvernements danois et allemand [60]. Gamesa a admis avoir ouvert des usines de fabrication en Pennsylvanie uniquement parce qu’elle a bénéficié de 15 millions de dollars US d’incitations de l’État et de plus de 25 millions de dollars US de crédits d’impôt fédéraux en 2010, après quoi l’usine de Pennsylvanie a obtenu des dizaines de millions de dollars US supplémentaires d’aides publiques à l’exportation [61].
Les investissements d’Adani dans les mégaprojets solaires ont eux aussi été très dépendants du soutien public, par le biais d’enchères pour la production d’électricité renouvelable lancées par les gouvernements des États ou les entreprises publiques. Le rapport annuel 2021-22 d’Adani Green l’admet sans ambages : « Nous pensons que le plus grand catalyseur pour notre secteur se trouve en dehors de notre entreprise. En deux mots : le gouvernement indien [62]. » C’est ce que dit aussi Robert Bryce, chercheur principal au Manhattan Institute, un think tank conservateur, à propos de NextEra : « NextEra produit peut-être de l’énergie éolienne, mais sa véritable activité est d’exploiter des subventions [63]. » Subsidy Tracker, un projet de Good Jobs First, estime que NextEra a reçu aux États-Unis 3,1 milliards de dollars US de prêts et autres fonds de sauvetage, et 2,9 milliards de dollars US de subventions pour l’énergie solaire et éolienne depuis 2009 [64].
Pour être clair, ce n’est pas l’allocation de fonds publics pour la transition énergétique qui pose problème. Compte tenu de l’énorme déficit d’investissements dans la transition, les dépenses publiques dans ce domaine devraient même augmenter. Le problème est que le modèle de financement actuel, dans lequel, au fond, les gouvernements paient des entreprises privées pour produire et fournir de l’énergie verte, repose sur la socialisation des coûts (en transférant les coûts à la société dans son ensemble) et la privatisation des les profits, ce qui ne peut que compromettre, en dernière instance, la décarbonation.
Conclusion n°6 : Les multinationales « vertes » sont étroitement liées aux géants de la finance
De nombreuses multinationales « vertes » de notre échantillon sont détenues et contrôlées par les mêmes grandes institutions financières comprennent Vanguard, Capital Research & Management Co, Norges Bank Investment Management, JPMorgan Investment Management, Wellington Management Co. LLP, DWS Investment GmbH et BlackRock. Douze des quinze entreprises étudiées comptent parmi leurs principaux actionnaires Vanguard, la deuxième plus grande société d’investissement au monde après BlackRock [65]. En 2021, selon notre première évaluation, BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde et l’un des principaux investisseurs dans la destruction du climat [66], était actionnaire de neuf entreprises de notre échantillon.
La plupart de ces fonds adoptent une stratégie d’« investissement passif » et utilisent le vote par procuration. Cela signifie qu’ils investissent souvent dans l’industrie des énergies fossiles en même temps que dans des entreprises « vertes » et qu’ils n’utilisent pas leur influence en tant qu’actionnaires pour promouvoir des stratégies d’entreprise respectueuses du climat. Ces institutions financières investissent dans des multinationales « vertes » pour satisfaire certains critères ESG reconnus par les marchés financiers et pour répartir les risques entre plusieurs types d’entreprises.
Accorder à Enbridge un prêt pour le développement durable est la même chose qu'octroyer un « prêt pour la paix » à un marchand d'armes.
Les critères de « durabilité » sont faciles à manipuler ou contourner. Prenons l’exemple d’Enbridge qui, en 2021, a reçu un prêt de 1,1 milliard de dollars canadiens de la part des plus grandes banques du Canada pour achever Line 3, un oléoduc qui transporte actuellement 390 000 barils de pétrole brut issu des sables bitumineux par jour [67]. Ce prêt était en partie conditionné au respect par l’entreprise de critères de « durabilité » tels que la réduction de l’intensité de ses émissions de gaz à effet de serre de 35 % d’ici à 2030. Tara Houska, membre du peuple Anishinaabe de la Première nation de Couchiching, a réagi en ces termes : « Accorder à Enbridge un prêt pour le développement durable est la même chose qu’octroyer un « prêt pour la paix » à un marchand d’armes. Même si Enbridge prévoit de construire quelques panneaux solaires avec cet argent, on ne peut pas éteindre un feu tout en continuant à y déverser en même des millions de barils de sables bitumineux en même temps [68]. »
Le secteur des énergies renouvelables est donc fortement financiarisé. Comme le montrent nos profils, dans certains pays tels que les États-Unis, des multinationales comme NextEra et EDF Renouvelables traitent les projets solaires et éoliens comme une catégorie d’actifs comme les autres dans leurs « portefeuilles d’investissement ». Ces actifs sont régulièrement échangés entre investisseurs et entreprises en fonction des calculs financiers et des changements de stratégie, sans engagement à long terme.
L’entreprise indienne Adani Green en fournir également un bon exemple. Le portefeuille d’énergies renouvelables d’Adani a connu une croissance rapide, passant de 1 GW en mars 2020 à 5 GW aujourd’hui, et devrait atteindre 25 GW en 2025. Le cours de l’action a augmenté en parallèle de 3000 % depuis son lancement en 2018 [69]. Les récentes accusations de fraude et de manipulation du marché ont affecté la valorisation boursière d’Adani et la confiance des investisseurs dans l’entreprise, remettant en question les futurs investissements dans les énergies renouvelables [70]. Cependant, à la grande surprise de nombreux observateurs [71], cette situation a été de courte durée, la multinationale française Total ayant récemment signé un nouvel accord sur les énergies renouvelables avec Adani Green [72].
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Conclusion n°7 : Les multinationales « vertes » profitent activement des hausses de prix et manipulent le marché
Les hausses importantes de prix ont été une source supplémentaire de profit pour certaines des multinationales « vertes » que nous avons étudiées. Dans certains cas, les entreprises ont même manipulé les marchés et les prix. Cette pratique est particulièrement répandue en Espagne. En 2015, la Commission nationale espagnole des marchés et de la concurrence (CNMC) a jugé qu’Iberdrola avait manipulé le prix de l’électricité en 2013, qualifiant sa faute de « très grave ». La CNMC lui a imposé une amende de 25 millions d’euros (cette amende fait toujours l’objet d’un appel à l’heure où nous écrivons ces lignes) [73]. En mai 2019, la Commission nationale espagnole des marchés boursiers (CNMV) a infligé à Endesa une amende de 5,8 millions d’euros. La CNMV a constaté qu’Endesa avait manipulé le marché de l’électricité pour augmenter les prix de gros entre octobre 2016 et janvier 2017, ce qui coïncidait avec le pic de la demande dû à la baisse des températures [74].
Iberdrola a trouvé d’autres moyens de tirer profit des hausses de prix. En 2021, l’entreprise a été accusée d’avoir provoqué une « fausse sécheresse » en vidant le réservoir de Valdecañas en Estrémadure, en Espagne, au détriment de l’approvisionnement en eau de la population [75]. La multinationale affirme que cette opération était nécessaire pour produire de l’électricité dans le contexte d’une vague de chaleur. Cependant, elle l’a fait alors que le prix de l’électricité était très élevé, réalisant ainsi des bénéfices qui ont donné lieu à une enquête du ministère espagnol de l’Environnement [76]. Le ministre de la Transition écologique a conclu que l’opération était légale, mais que ce type de comportement irresponsable ne devrait pas être autorisé [77]. Mais les hausses de prix et les manipulations de marché pour maximiser les profits continueront à se produire si ces entreprises sont laissées sans contrôle.
Conclusion n°8 : Certaines multinationales « vertes » ont tiré des profits considérables de la guerre en Ukraine
La moitié des entreprises étudiées ont connu une augmentation de leur chiffre d’affaires dans le contexte de la guerre en Ukraine, et certaines d’entre elles ont enregistré des hausses très importantes de leurs bénéfices.
Les entreprises traditionnelles d’énergies fossiles (comme BP et Shell) ont enregistré des bénéfices spectaculaires en 2022 en raison de la flambée des prix de l’énergie [78]. C’est également le cas d’Endesa, de Southern et de British Gas en raison de leurs portefeuilles d’énergies fossiles. Les bénéfices d’Endesa en 2022 ont augmenté de 56,96 % par rapport à 2021, ceux de Southern de 47,26 % par rapport à 2021 et ceux de British Gas de 211,02 %.
Les bénéfices des multinationales « vertes » ne reflètent en aucun cas une progression des énergies renouvelables en elles-mêmes. Comme nous l'avons vu, ces bénéfices exceptionnels sont largement redistribués aux actionnaires, et non réinvestis dans le développement de nouvelles capacités renouvelables ou utilisés pour alléger la charge pesant sur les consommateurs.
Après le déclenchement de la guerre, British Gas a augmenté le prix de l’énergie facturée aux usagers, le tarif variable standard de l’entreprise passant de 1 277,38 livres sterling par an à 1 970,56 livres sterling trois mois après l’invasion [79]. Il n’est donc pas surprenant que Centrica, la société mère de British Gas, ait déclaré un bénéfice d’exploitation de 3,3 milliards de livres pour l’année civile 2022 – trois fois plus que les 948 millions de l’année précédente et le chiffre le plus élevé de son histoire [80].
Dans l’Union européenne, les prix de l’électricité étant déterminés par les prix du gaz, les producteurs d’énergie renouvelable ont bénéficié de prix plus élevés en conséquence de la guerre, même si celle-ci n’a pas eu d’impact sur les coûts de production de l’énergie renouvelable. Aux Pays-Bas, par exemple, les prix de l’électricité ont été multipliés par dix suite à la guerre. En conséquence, les bénéfices des actionnaires des parcs éoliens et solaires ont largement dépassé les 384 millions d’euros de bénéfices qu’ils réalisaient déjà avant cette hausse des prix. Même en produisant de l’électricité sans subventions publiques, ces bénéfices étaient désormais directement subventionnés par les factures d’énergie des citoyens [81]. Les bénéfices d’Engie ont également doublé au premier semestre 2022 par rapport au premier semestre 2021, l’entreprise ayant bénéficié de la hausse des prix de son activité gazière en Europe ainsi que de l’augmentation des prix facturés pour l’énergie renouvelable qu’elle produit [82].
Ces éléments montrent que, dans de nombreux cas, les bénéfices croissants des multinationales « vertes » ne reflètent en aucun cas une progression des énergies renouvelables en elles-mêmes. Comme nous l’avons vu, ces bénéfices exceptionnels sont largement redistribués aux actionnaires, et non réinvestis dans le développement de nouvelles capacités renouvelables ou utilisés pour alléger la charge pesant sur les consommateurs. Alors que les entreprises affirment qu’elles ont besoin d’un soutien massif de l’État pour que les énergies vertes soient suffisamment rentables, dans un système privatisé, ce soutien public ne fait qu’augmenter les profits privés, favorisant les intérêts des actionnaires plutôt que l’investissement dans la transition énergétique. C’est un parfait exemple de « socialisation des coûts et de privatisation des profits ».
Droits humains et atteintes à l’environnement
Conclusion n°9 : Les grands projets solaires et éoliens menés par les multinationales « vertes » sont souvent liés à l’accaparement de terres et à des violations des droits humains
Les multinationales ont besoin de vastes surfaces de terres pour construire d’immenses parcs éoliens terrestres, des parcs solaires et des centrales hydroélectriques – des terres qu’elles obtiennent souvent en privant les communautés autochtones et rurales de leur accès traditionnel. De nombreux conflits fonciers ont été documentés au Mexique (Iberdrola), au Honduras (Siemens Gamesa), en Inde (Adani Green), au Sahara occidental (Siemens Gamesa) et même en Espagne (Iberdrola). Tout cela au nom de la « sauvegarde du climat ».
Les multinationales ont besoin de vastes surfaces de terres pour construire d'immenses parcs éoliens terrestres, des parcs solaires et des centrales hydroélectriques – des terres qu'elles obtiennent souvent en privant les communautés autochtones et rurales de leur accès traditionnel.
Les autorités indiennes et des entreprises comme Adani Green ont choisi de développer des parcs éoliens et solaires à grande échelle, nécessitant des milliers d’hectares de terres. Les projets d’Adani Green ont d’ailleurs été entachés de controverses en raison d’allégations d’accaparement de terres et de conflits avec les agriculteurs et les communautés traditionnelles [83]. Par exemple, lorsque le parc solaire de Kamuthi, dans le Tamil Nadu, est entré en opération, sur 2000 hectares de terres (y compris des zones humides reclassées), les sources d’eau ont été clôturées et Adani Green a pompé d’énormes quantités d’eau souterraine pour nettoyer ses panneaux solaires, ce qui a entraîné l’épuisement des nappes phréatiques locales. L’entreprise s’est ensuite tournée vers le dessalement de l’eau, et a été accusée de déverser ses résidus salins toxiques et de contaminer ainsi les sols [84].
L’oléoduc Line 3 d’Enbridge (voir ci-dessus) traverse les territoires indigènes du Minnesota, ce qui suscite une vive opposition de la part des tribus locales [85]. Des enquêtes du Brennan Center et du média The Intercept suggèrent que, face aux nombreuses tentatives de blocage de l’oléoduc par des manifestations et des actions de désobéissance civile, l’entreprise a riposté en engageant des sociétés de surveillance et en coopérant avec les opérations de la police locale contre les activistes du Minnesota [86].
Le peuple Lenca du Rio Blanco, organisé par le Consejo Cívico de Organizaciones Populares e Indígenas de Honduras, affirme que Gamesa, exploitant du parc éolien de Cerro de Hula, a occupé ses terres sans son consentement et a détruit ses moyens de subsistance agricole. « Nous avons été très affectés, d’abord parce qu’ils nous ont trompés. Ils nous ont forcés à signer un contrat truqué et nous avons perdu nos terres », a déclaré Gilma Martinez, une femme Lenca, à TeleSUR [87].
Des revendications similaires se sont exprimées dans l’Oaxaca, au Mexique. Gamesa est l’un des principaux fournisseurs de turbines pour l’isthme de Tehuantepec, comme pour le parc éolien Bii Nee Stipa II de 70 mégawatts construit en 2012. Les populations locales, dont beaucoup sont des indigènes Binniza (Zapotèques) et Ikoojt (Huaves), affirment que les parcs éoliens empêchent l’accès à leurs terres agricoles, à leurs sanctuaires sacrés, ainsi qu’à leurs herbes et plantes médicinales [88]. Des militants de l’Assemblée populaire de Juchitán, qui s’opposent aux projets éoliens, auraient été harcelés et même assassinés [89].
Ces exemples illustrent les dommages que peuvent causer les infrastructures massives. Les énergies renouvelables doivent être développées en collaboration avec les communautés locales, et non à leurs dépens.
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Faites un donConclusion n°10 : Les technologies énergétiques « vertes » impliquent des processus d’exploitation minière et de production qui violent les droits des communautés locales et nuisent à l’environnement
Les technologies d’énergies renouvelables nécessitent des quantités importantes de métaux dits « de transition », tels que le nickel, le cobalt et le lithium [90]. L’extraction de ces métaux est à l’origine de destructions écologiques et de violations des droits humains. Tesla et Siemens Gamesa achètent du cobalt à la mine de cuivre de Glencore dans la région du Katanga, en République démocratique du Congo, accusée de recourir au travail des enfants [91]. Le nickel que Tesla achète au Canada provient de la mine Vale de Voisey’s Bay, dans le nord du Labrador, à laquelle s’opposent depuis longtemps les Innus et les Inuits [92].
Dans le même temps, aux États-Unis, la coalition Protect Osage, composée de membres de la nation Osage, de groupes de protection de la nature et de résidents locaux, s’est organisée pour s’opposer à la construction du projet Osage Wind, détenu par Enel Green Power, l’actionnaire de contrôle d’Endesa [93]. Ce projet éolien affecte des sites culturels et des tombes historiques [94], et est développe sur des prairies d’herbes hautes – un habitat essentiel qui capture et stocke le carbone plus efficacement que les arbres [95]. Le gouvernement fédéral des États-Unis soutient désormais la nation Osage dans sa lutte contre Enel, après avoir découvert que l’entreprise avait illégalement exploité du calcaire et d’autres minéraux appartenant à la nation Osage [96].
Siemens Gamesa utilise du néodyme pour l’aimant permanent de ses éoliennes. Environ 90 % de l’approvisionnement mondial provient de Chine, notamment de Baotou, la plus grande ville industrielle de Mongolie intérieure, où le néodyme est extrait via un procédé utilisant du thorium et de l’uranium [97]. Les déchets sont ensuite déversés dans un bassin de boue et de déchets toxiques de 120 kilomètres carrés, qui s’écoule lentement dans le fleuve Jaune, l’une des principales sources d’eau de Chine [98].
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Conclusion n°11 : Les multinationales « vertes » violent les droits des travailleurs en matière de salaires, de travail forcé, de lutte contre les syndicats et de conditions de travail dangereuses
Outre les problèmes liés à l’accaparement des terres, aux violations des droits humains et à la destruction de l’environnement, les multinationales « vertes » sont souvent impliquées dans la violation des droits des travailleurs. De plus en plus d’études révèlent de nombreux problèmes de main-d’œuvre dans le secteur des énergies renouvelables [99]. Ces problèmes vont du travail forcé aux contrats précaires et aux conditions de travail dangereuses [100].
Dans le cadre du projet Solar Park Villanueva d’Endesa au Mexique, des travailleurs d’entreprises mexicaines sous-traitantes ont bloqué l’entrée de l’usine, exigeant le paiement de leurs salaires [101]. Selon le journal mexicain SDP Noticias, ils ont protesté en raison de 9,2 millions de dollars US de non-paiement et d’actes de corruption présumés, ce qui a entraîné l’annulation de l’inauguration de l’usine [102].
Les experts de l’industrie solaire affirment que la principale subvention bénéficiant à JinkoSolar est une main-d’œuvre bon marché dans le Xinjiang, en Chine [103]. L’usine de panneaux solaires de l’entreprise au Xinjiang a été liée au travail forcé d’une prison de haute sécurité située à proximité et d’un camp d’internement pour les musulmans ouïghours, une minorité persécutée [104].
Les travailleurs d’EDF Renouvelables n’ont pas le même statut que la plupart des autres travailleurs français d’EDF [105]. Le personnel d’EDF Renouvelables est plus jeune avec des contrats plus précaires, avec un taux de rotation plus élevé. Le modèle économique de l’entreprise repose davantage sur la sous-traitance opérationnelle des projets qu’elle construit et gère. Dans les pays hors de France, le personnel d’EDF Renouvelables n’est souvent peu ou pas syndiqué, par contraste avec le personnel du groupe EDF.
En 2019, Tesla a accumulé plus de trois fois plus de violations selon l'Occupational Safety and Health Administration que ses 10 principaux concurrents collectivement entre 2014 et 2018.
Prenons pour finir le cas de Tesla. Les usines de l’entreprise ont l’un des pires bilans de sécurité de tous les sites de production automobile aux États-Unis. En 2019, Tesla a accumulé plus de trois fois plus de violations selon l’Occupational Safety and Health Administration que ses 10 principaux concurrents collectivement entre 2014 et 2018 [106].
En février 2023, les travailleurs de l’usine Tesla de Buffalo, dans l’État de New York, ont affirmé qu’au moins 18 travailleurs [107] avaient été licenciés en raison de leur participation à des activités syndicales. Les travailleurs ont commencé à se syndiquer en raison des bas salaires et de l’insécurité de l’emploi, ainsi que contre l’introduction d’un nouveau système de surveillance qui contrôle leurs frappes au clavier - ce qui dissuade certains membres du personnel de prendre de courtes pauses et d’aller aux toilettes [108]. Ce n’est pas la première fois que Tesla est accusé de violation des droits syndicaux et de licenciement abusif. En mars 2023, un tribunal a statué en faveur d’un employé qui avait été licencié illégalement après avoir participé à l’organisation d’un syndicat en 2017 [109].
Une prise de contrôle de la transition verte par les multinationales
Conclusion n°12 : Les multinationales « vertes » tendent à prioriser les grands projets qui leur profitent et qui profitent à d’autres multinationales
Les contrats d’achat d’électricité (CAE ou Power Purchase Agreements en anglais) sont des contrats à long terme entre des producteurs d’électricité et des clients, généralement un gouvernement, un service public ou une autre entreprise. L’établissement de contrats d’achat d’électricité avec d’autres multinationales est l’un des principaux objectifs des multinationales « vertes ». Ainsi, la transition se développe selon les intérêts des grandes entreprises, plutôt que selon les besoins des communautés.
Aux États-Unis et dans le reste du monde hors Europe, la plupart des projets d’EDF Renouvelables sont basés sur des CAE avec de grandes entreprises telles que Google, Amazon, Procter & Gamble ou BASF [110], ou avec des gouvernements et des entités publiques [111].
Iberdrola a signé des CAE avec de grandes entreprises telles qu’Amazon, Apple, Facebook et Nike [112], parallèlement à des partenariats récents dans le domaine des énergies renouvelables avec Total et Shell [113]. Non seulement les activités des grandes entreprises de technologie et d’énergies fossiles sont très gourmandes en énergie, mais [114] toutes ces entreprises ont été associées à des scandales liés aux droits humains [115].
Plusieurs projets d'énergie renouvelable développés par nos multinationales « vertes » dans des pays tels que l'Inde et le Mexique ont été conçus pour répondre aux besoins des grandes entreprises nationales ou internationales. Tout cela alors que, dans de nombreux cas, les communautés qui vivent autour de ces projets – et qui ont souvent été affectées par l'accaparement des terres et d'autres effets négatifs – n'ont toujours pas accès à une source d'électricité fiable.
Les CAE constituent une menace sérieuse pour la transition énergétique. Lorsque des entreprises publiques concluent un CAE, elles paient généralement à une entité privée un prix le plus élevé possible pour la production d’électricité renouvelable et la garantie d’une marge bénéficiaire, que l’électricité soit effectivement consommée ou non [116]. Et lorsque les gouvernements continuent à externaliser la production d’énergie renouvelable, ils ne développent pas de capacités de production d’énergie renouvelable en interne pour piloter la transition dans l’intérêt public.
Les CAE conclus entre multinationales reposent également sur des investissements publics dans la maintenance et l’extension des réseaux de transport nécessaires pour faciliter le flux d’électricité depuis les installations de production jusqu’aux sites de consommation. Cela représente une nouvelle ponction sur les fonds publics [117]. De plus, ces CAE entre multinationales peuvent constituer une forme supplémentaire d’écoblanchiment. Prenons par exemple le récent CAE conclu par Iberdrola avec Amazon [118]. Les parcs éoliens d’Iberdrola alimentent les centres de données d’Amazon, ce qui permet à cette entreprise de se présenter comme « verte », alors qu’elle est impliquée dans de multiples formes d’activités nuisibles au climat, qu’il s’agisse de fournir un soutien technologique aux activités d’extraction pétrolière de BP et de Shell [119] ou de promouvoir le consumérisme de masse [120].
Au lieu d’essayer de répondre aux demandes des multinationales en matière d’énergies renouvelables, les gouvernements devraient donner la priorité à la fourniture d’une électricité décarbonée pour les ménages et les services publics. Plusieurs projets d’énergie renouvelable développés par nos multinationales « vertes » dans des pays tels que l’Inde et le Mexique ont été conçus pour répondre aux besoins des grandes entreprises nationales ou internationales [121]. Tout cela alors que, dans de nombreux cas, les communautés qui vivent autour de ces projets – et qui ont souvent été affectées par l’accaparement des terres et d’autres effets négatifs – n’ont toujours pas accès à une source d’électricité fiable.
Conclusion n°13 : Certaines multinationales « vertes » s’opposent activement aux énergies renouvelables à petite échelle
Comme nous l’avons vu (conclusion n°12), les multinationales « vertes » privilégient les formes de production d’énergie renouvelable à grande échelle dont elles peuvent facilement tirer profit. Les énergies renouvelables décentralisées et à plus petite échelle, détenues par les communautés ou des individus, constituent une menace pour leur modèle économique. En conséquence, certaines multinationales sont allées jusqu’à saper activement l’expansion des énergies renouvelables résidentielles.
L’entreprise américaine Southern est coutumière du fait. En 2013, elle a imposé une redevance mensuelle de 5 dollars US par kilowattheure à tout client produisant de l’énergie solaire en Alabama. Cette mesure a eu pour effet de tuer le secteur dans l’État [122]. L’entreprise a tenté d’imposer des frais similaires en Géorgie, mais les électeurs ont rejeté la mesure [123]. Aujourd’hui, la Géorgie compte dix fois plus d’installations solaires résidentielles que l’Alabama [124].
Une autre entreprise américaine, NextEra, a utilisé toute une série de tactiques politiques douteuses pour saper les énergies renouvelables décentralisées. Tout en prétendant être l’un des plus grands producteurs d’énergie renouvelable au monde [125], NextEra a collaboré avec Consumers for Smart Solar, un groupe d’« astroturfing », pour s’opposer aux campagnes menées en Floride en faveur de l’énergie solaire résidentielle locale [126]. En outre, sa filiale Florida Power & Light a cherché à influencer une législation pour restreindre l’adoption de l’énergie solaire résidentielle en Floride [127]. Ces efforts visent à dissuader les efforts des résidents locaux pour installer leurs propres panneaux solaires. NextEra aurait collaboré avec des cabinets de lobbying pour s’opposer aux campagnes menées en Floride en faveur d’une augmentation de l’énergie solaire résidentielle locale [128]. La société de lobbying Matrix Group, embauchée à cette fin par NextEra, est impliquée dans des allégations de corruption et de tentatives d’éviction de candidats politiques, le tout dans le but d’empêcher l’adoption d’une nouvelle législation en faveur de l’énergie solaire résidentielle [129].
Conclusion n°14 : De nombreuses multinationales « vertes » utilisent des capitaux provenant de énergies fossiles pour racheter des entreprises plus petites actives dans le domaine des énergies renouvelables
Le capital accumulé au cours de décennies d’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz est utilisé par les géants des énergies fossiles pour « verdir » leur image - tout en continuant à exploiter des énergies fossiles. Leur force de frappe financière est également utilisée pour évincer les petits acteurs locaux, publics ou coopératifs.
En France, Engie a développé son portefeuille d’énergies renouvelables par l’acquisition de petites entreprises, notamment Solairedirect pour le solaire et La Compagnie du Vent pour l’éolien [130]. Engie, ainsi que les deux autres géants français de l’énergie, EDF et Total, ont utilisé leur puissance financière pour absorber ou évincer la plupart des concurrents potentiels qui, contrairement à ces multinationales, n’étaient actifs que dans le secteur des énergies renouvelables [131]. Par ailleurs, la législation française ne permet le développement de producteurs ou de distributeurs locaux, à but non lucratif, publics ou coopératifs, comme c’est le cas en Allemagne [132]. En conséquence, les trois géants ont pris le contrôle de la transition énergétique en France, en ont dicté le rythme et se sont assurés la plupart des bénéfices à en tirer.
Conclusion n°15 : Les multinationales « vertes » exercent une influence considérable sur les gouvernements
Dans de nombreux pays, les multinationales « vertes » exercent une influence démesurée sur l’élaboration des politiques publiques. En Espagne, par exemple, il existe des « portes tournantes » avérées entre le gouvernement et Endesa et Iberdrola : de nombreux ex élus et fonctionnaires viennent occuper des postes de haut niveau dans ces entreprises, tandis qu’en sens inverse des employés d’Endesa et d’Iberdrola se frayent un chemin au sein du gouvernement [133]. Il en va de même au Royaume-Uni, où les détachements de personnel entre le gouvernement et British Gas et d’autres entreprises du secteur de l’énergie sont bien documentés [134]. En Inde, il existe des liens étroits et inquiétants entre le Premier ministre Narendra Modi et Gautam Adani, patron du conglomérat Adani [135].
Les multinationales « vertes » exercent aussi leur influence sur les gouvernements en prenant le contrôle des associations professionnelles dans le domaine des énergies renouvelables. En France, par exemple, le trio dominant Engie, EDF et Total a pris le contrôle du Syndicat des énergies renouvelables (SER) [136]. Il en résulte une situation paradoxale où le lobby chargé de défendre la transition vers les énergies renouvelables est contrôlé par un trio de sociétés géantes dont les modèles économiques restent liés à la poursuite de la consommation d’énergies fossiles ou nucléaire. Ces entreprises utilisent cette influence pour privilégier le type de projet à grande échelle qui leur est le plus favorable, pour obtenir davantage d’aides publiques et pour plaider en faveur de l’élimination des régulations environnementales et sociales en matière de projets d’énergies renouvelables [137].
La prise de contrôle des associations d’énergie renouvelable par les grandes entreprises nuit à la conduite de la transition. Prenons l’exemple d’Enel Green Power, filiale d’Endesa, qui était censée représenter tous les producteurs d’énergie renouvelable en Espagne. Au lieu de cela, elle a donné la priorité à ses propres demandes de raccordement de centrales électriques et a reporté la soumission des demandes de ses concurrents au gestionnaire du réseau de transport, leur bloquant de fait l’accès au réseau. L’autorité espagnole de régulation du marché, la CNMC, a infligé à Enel Green Power une amende de 4,9 millions d’euros pour ce motif [138].
Enfin, certaines multinationales « vertes » ont l’habitude d’utiliser (ou de menacer d’utiliser) le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États afin de poursuivre les gouvernements pour des mesures qui nuisent à leurs profits [139]. Elles veulent ainsi contraindre les gouvernements à abandonner les politiques qu’elles jugent indésirables en passant outre les cadres juridiques nationaux. Par exemple, Vattenfall a agressivement poursuivi le gouvernement allemand en 2009 pour qu’il verse une compensation de 1,4 milliard d’euros pour avoir imposé des exigences environnementales strictes afin de protéger l’Elbe de la centrale au charbon Moorburg de 1,6 gigawatt à Hambourg [140]. Le gouvernement a accepté de régler l’affaire à l’amiable en 2010 en revenant sur les mesures de protection de l’environnement et en autorisant la construction de la centrale.
En mai 2012, Vattenfall a intenté une autre action en justice contre l’Allemagne dans le cadre d’un tribunal arbitral lié à l’investissement, réclamant une indemnisation de 3,7 milliards d’euros. Cette affaire visait à contester la décision de fermer les centrales nucléaires de Brokdorf, Brunsbüttel et Krümmel, à la suite de la catastrophe de Fukushima au Japon [141]. L’affaire a été close en novembre 2021 après que Vattenfall a gagné une affaire connexe devant la Cour constitutionnelle fédérale allemande, laquelle a exigé que l’Allemagne réévalue l’indemnisation pour la fermeture des centrales, et après qu’un paiement de 1,425 milliard d’euros à Vattenfall a été convenu en mars 2021 [142].
Conclusion
Les multinationales « vertes » aimeraient nous faire croire qu’elles sont la solution au changement climatique. Les quinze entreprises de notre échantillon, producteurs d’électricité et les fabricants de technologies, ont beau se présenter comme vertes, à en juger par leurs pratiques commerciales elles ne se soucient pas de la décarbonation. La majorité d’entre elles continuent de soutenir les énergies fossiles et nombre d’entre elles restent même avant tout des entreprises spécialisées dans les énergies fossiles.
La maximisation des rendements financiers, et non la décarbonation, est leur principale activité. Ce sont des fonds d’investissement comme BlackRock qui qui dictent leur stratégie. Les critères de « durabilité » sont exploités pour financer la destruction du climat (Enbridge) et les filiales vertes sont utilisées pour financer le charbon (Adani Green). En Europe, les actifs liés aux énergies fossiles ne sont souvent pas fermés, mais simplement vendus à des tiers ou séparés en entreprises distinctes. Aux États-Unis, les projets solaires et éoliens ont tendance à être achetés et vendus sur la base de calculs financiers et de changements de stratégie, sans engagement à long terme. Les multinationales espagnoles ont été condamnées à des amendes pour avoir manipulé les prix et le marché, augmentant ainsi leurs profits au détriment de l’accès et de l’accessibilité. Les entreprises sapent activement l’expansion des petites énergies renouvelables (NextEra et Southern) ou utilisent le capital issu des énergies fossiles pour racheter des entreprises plus petites (Engie et EDF).
De nombreuses entreprises d’électricité en Europe utilisent des certificats verts, même s’ils ont été achetés sans investissement correspondant dans la production d’énergie renouvelable. Toutes les entreprises de notre échantillon donnent la priorité aux grands projets qui leur profitent ou qui profitent à d’autres multinationales. Elles aussi pour habitude de qualifier de « propres » le gaz fossile, le nucléaire et d’autres sources d’énergie controversées afin de soigner leur image et de les aider à engloutir les subventions publiques.
Leurs investissements dans la production d’énergie renouvelable ou dans les technologies de transition dépendent souvent fortement de multiples formes d’aides publiques, notamment des subventions directes, des prix d’achat garantis et des crédits d’impôt. Payées par les contribuables ou les consommateurs via leurs factures, ces aides sont décisives pour déterminer quelles capacités de production d’énergie renouvelable sont construites et à quel endroit. L’utilisation de fonds publics pour favoriser la transition énergétique n’est pas le problème ici. L’Agence internationale pour les énergies renouvelables a déclaré que les investissements annuels dans le secteur devraient plus que quadrupler pour atteindre plus de 5 000 milliards de dollars US si nous voulons rester sur la trajectoire de 1,5 degré [143]. Le problème est que ce modèle de financement est accaparé par des intérêts privés, ce qui nuit à la décarbonation en socialisant les coûts et en privatisant les profits.
Alors que la majorité de la population mondiale est de plus en plus confrontée au désastre climatique et à la crise du coût de la vie, les multinationales « vertes » de l'échantillon ont engrangé 175,86 milliards de dollars US de profits entre 2016 et 2022.
La richesse accumulée par les quinze multinationales de notre échantillon est stupéfiante. Ces entreprises ont versé un total combiné de 130,77 milliards de dollars US en dividendes et 24,8 milliards de dollars US en rachats d’actions entre 2016 et 2022. Le dividende individuel le plus élevé au cours de cette période a été de 5,45 milliards de dollars US, versé par Enbridge en 2021. Le rachat d’actions le plus élevé a été effectué par Southern en 2016, pour un montant de 3,76 milliards de dollars US. Treize des quinze entreprises étudiées divulguent le montant de la rémunération de leur patron. Malgré le fait que le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’électricité dans le monde devrait augmenter pour la première fois depuis des décennies [144], les patrons de ces treize entreprises gagneront un total combiné de 136,89 millions de dollars US en 2022 [145]. Le patron le mieux payé est John Ketchum de NextEra, qui a gagné 17,4 millions de dollars US en 2022.
Ces richesses mirobolantes ont été accumulées grâce à l’argent public (conclusion n°5), à l’écoblanchiment (conclusions n°3 et 4) et à des pratiques sociales et environnementales abusives qui menacent les droits des travailleurs et des communautés de première ligne (conclusions n°10 et 11). En effet, la plupart des multinationales étudiées sont accusées de violations des droits des autochtones, des droits des travailleurs ou d’autres droits humains. Du Mexique au Honduras en passant par l’Inde, le Sahara occidental et l’Espagne, les multinationales « vertes » privent de nombreuses communautés autochtones et autres communautés rurales de leurs terres et de leurs moyens de subsistance pour construire des parcs éoliens terrestres ou des parcs solaires. En outre, l’extraction des « métaux de transition », dont dépendent les fabricants de technologies dites vertes, entraîne souvent une exploitation de la main-d’œuvre et une destruction de l’environnement.
Les entreprises d’électricité se concentrent sur le développement de nouvelles capacités de production d’énergie, comme si cela suffisait pour faire face à la crise climatique. Elles ne sont pas intéressées par la réduction de la consommation d’énergie, car cela entrerait en conflit avec les intérêts des actionnaires, qui exigent qu’elles vendent autant d’énergie que possible. De même, l’accent mis sur la vente de voitures électriques privées nuit à la transition vers des transports publics propres et universels.
Le système électrique mondial s’est développé à un rythme de 300 GW par an au cours des dernières années [146]. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le rythme d’expansion des énergies renouvelables s’accélérera au cours des prochaines années, avec une croissance de la capacité renouvelable de 350 à 400 GW par an entre 2022 et 2027 [147]. Cependant, même si ces prévisions optimistes se concrétisent, la majeure partie des bienfaits de la croissance des énergies renouvelables sera annulée par l’augmentation de la demande d’électricité. Un rapport de l’AIE datant de 2023 affirme que sur les 50 facteurs qu’elle juge nécessaires à la transition énergétique, seuls trois sont en bonne voie [148]. De fait, les émissions de CO2 liées à l’énergie continuent d’augmenter, atteignant un niveau record en 2022 [149].
Alors que la majorité de la population mondiale est de plus en plus confrontée au désastre climatique et à la crise du coût de la vie, les multinationales « vertes » de l’échantillon ont engrangé 175,86 milliards de dollars US de profits entre 2016 et 2022, dont 37,96 milliards de dollars US rien qu’en 2022. Dans de nombreux cas, ces bénéfices exceptionnels ne reflètent pas l’essor des énergies renouvelables. La prospérité de ces entreprises ne serait pas possible sans les niveaux inquiétants d’influence qu’elles exercent sur les gouvernements – que ce soit par le biais de portes tournantes, d’associations d’entreprises ou de plaintes dans le cadre du règlement des différends entre investisseurs et États.
Le capital « vert » a pris le contrôle de la transition énergétique, dictant son rythme et bloquant les actions climatiques qui entravent ses profits. Pour assurer une transition énergétique juste et rapide, il n’y a pas d’autre choix que d’en finir avec la logique de profit des multinationales.