Le 20 juillet dernier, Emmanuel Macron a procédé à un nouveau remaniement ministériel. La première ministre Elisabeth Borne et les principaux poids lourds du gouvernement ont été confortés à leur poste. De nouveaux ministres et secrétaires d’État sont arrivés, d’autres sont partis et pour certains ont déjà été recasés. Pap Ndiaye, l’ancien ministre de l’Éducation nationale, a été propulsé ambassadeur de la France auprès du Conseil de l’Europe. Marlène Schiappa, qui assure avoir été pistée par « des chasseurs de têtes ou des grands patrons », semble partie pour rejoindre le grand nombre de ses ex collègues qui sont partis vers le secteur privé (lire notre article).
Un remaniement est aussi l’occasion d’importants renouvellements au sein des cabinets ministériels. Les mouvements de conseillers du public au privé ou inversement font plus rarement la une des médias, mais ils en disent tout aussi long sur la porosité des frontières entre l’État, les grandes entreprises et les organisations de lobbying qui est le sujet de notre initiative Les portes tournantes.
La circulation public-privé est particulièrement forte dans le secteur de la communication. La quasi totalité de conseillers en communication des ministres sont recrutés au sein des principales agences de la place parisienne, comme Havas (propriété de Vincent Bolloré) et Publicis, qui comptent parmi leurs principaux clients les grands noms du CAC40 [1]. Ils finissent généralement par y retourner au bout de quelques années au gouvernement.
De la communication d’entreprise à la communication politique et inversement
Ces débauchages de conseillers permettent aux agences de communication et donc à leurs clients d’avoir des relais et des oreilles au sein des cabinets ministériels et donc de savoir à qui s’adresser à quel moment pour se faire entendre au sein de l’appareil d’État. Ils contribuent aussi à maintenir un effet de bulle et de culture partagée entre le gouvernement et le monde des affaires, où la différence entre communication politique et communication commerciale tend à s’estomper.
Même si Havas et Publicis dominent le palmarès des portes tournantes, le dernier remaniement a été favorable à d’autres agences de communication et d’influence. Sarah El Haïry, nouvelle secrétaire d’État à la Biodiversité s’est ainsi offert les services du directeur de l’agence de communication FGS Global, tandis que la secrétaire d’État chargée de la Ville Sabrina Agresti-Roubache a débauché un ancien directeur de la communication et du marketing digital de Heyme. On ne sait pas si c’est lui qui lui a conseillé d’accepter un entretien dans le premier numéro du Journal du Dimanche version Bolloré.
Un cabinet de comm’ au plus près du pouvoir
Un autre cabinet à avoir connu beaucoup de mouvements lors du remaniement de juillet dernier est Taddeo, co-fondé par deux anciens conseillers de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, Julien Vaulpré et Raymond Soubie. Une de ses consultantes est partie assurer la communication de Thomas Cazenave, nouveau ministre délégué aux Comptes publics, et une autre les relations presse du nouveau ministre de la Santé Aurélien Rousseau. Une de ses directrices préside aujourd’hui le cabinet d’Aurore Bergé, ministre des Solidarités. Le conseiller parlementaire et discours de Gabriel Attal lorsqu’il était chargé du Budget a fait le chemin inverse.
Les portes entre Taddeo et la sphère publique tournent en effet dans les deux sens, et elles concernent aussi bien les partis politiques et la haute administration que les ministères. Le cabinet compte ainsi parmi ses consultants l’ancienne conseillère presse de la campagne présidentielle de Yannick Jadot ainsi que l’ancien conseiller parlementaire et relations institutionnelles de la direction générale du Trésor.
En même temps qu’il avance des pions au sein des cabinets ministériels et cultive ses liens avec le pouvoir politique, Taddeo travaille pour clients parfois controversés tels qu’Amazon (lire notre enquête GAFAM Nation), Uber (lire Les coursiers du lobbying), Vallourec, Atos, Axa ou encore Suez. Sur son site, l’agence vante sa « force de frappe auprès des médias et des autorités politiques » pour « gagner les batailles de communication ». Une force de frappe que les récents débauchages ne manqueront certainement pas d’accroître encore. Ces échanges de personnel créent des zones grises dans lesquelles contacts et informations pourront circuler entre nouveaux et anciens collègues dans le flou le plus total. Vis-à-vis de ses clients, Taddeo pourra – tout comme Publicis ou Havas – se vanter de ses relations privilégiées avec les hautes sphères de l’État et leur vendre un accès privilégié aux dirigeants et une connaissance fine des tendances en termes de communication politique.
C’est ainsi que les rois et les reines de la communication d’entreprise prennent aujourd’hui les rênes de la communication de ministres. Ils y auront notamment pour rôle de faire oublier les réformes impopulaires et l’action contestée du gouvernement en matière de climat ou de services publics derrière des coups de comm’ et des effets d’annonce. Puis ils retourneront travailler pour le compte de grands intérêts économiques qui, eux, semblent avoir porte ouverte dans les sphères du pouvoir.
Lora Verheecke