10.05.2023 • Actus, revue de presse et liens

Le débat démocratique confisqué - Lettre du 10 mai 2023

Publié le 10 mai 2023

Bienvenue dans la lettre d’information de l’Observatoire des multinationales.

Cette semaine, à l’occasion de nos nouvelles parutions et de l’actualité, plongée dans la fabrique du débat public et médiatique.

N’hésitez pas à faire circuler cette lettre, à nous envoyer des réactions, commentaires et informations.

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Bonne lecture

Think tanks : des lobbys comme les autres ?

Les think tanks sont devenus des acteurs majeurs du débat politique, mais leurs liens privilégiés avec le monde des affaires et l’absence d’une régulation adéquate en font aussi des véhicules d’influence particulièrement commodes pour les entreprises. C’est ce que conclut notre nouveau rapport Laboratoires d’influence.

Pour les entreprises, les think tanks sont un outil de lobbying qui permet d’influencer indirectement ou directement les décideurs principalement à travers le cadrage et le filtrage du débat public et médiatique : quels sujets seront débattus et feront la une des médias, sur quelles données on se basera, quelles questions seront posées, quelles options seront envisagées et lesquelles ne le seront pas... Cette influence est d’autant plus efficace qu’elle se cache derrière une apparence d’objectivité intellectuelle et de recherche de l’intérêt général.

À travers les événements publics ou privés qu’ils organisent et directement à travers la composition de leurs organes de gouvernance, les think tanks sont aussi des lieux d’entre-soi entre dirigeants publics et privés.

Pour toutes ces raisons, il semblerait normal que les think tanks soient soumis aux mêmes règles de transparence et de déontologie que les autres acteurs du lobbying et des structures d’expertise jouant un rôle dans les décisions publiques. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Et l’Institut Montaigne, pourtant sommé par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique de s’inscrire au registre des représentants d’intérêts, lui a opposé une fin de non-recevoir.

Lire notre rapport.

TotalEnergies veut bâillonner Greenpeace

L’Assemblée annuelle générale de TotalEnergies est prévue pour le 26 mai prochain, et elle promet d’être agitée. Un collectif d’organisations a d’ores et déjà annoncé son intention d’en empêcher la tenue pour protester contre l’impunité climatique du géant du pétrole. Un collectif de scientifiques de renom a appelé dans les colonnes du Monde les actionnaires de TotalEnergies à voter contre la stratégie climat concoctée par sa direction.

Du côté de l’entreprise, la nervosité semble monter. Après avoir multiplié ces derniers mois les menaces implicites contre leurs critiques, les dirigeants de TotalEnergies sont passés à l’acte en déposant plainte, pour la première fois, contre Greenpeace France pour diffusion d’informations fausses et trompeuses. En cause : un rapport publié en novembre 2022, dont nous avions parlé dans cette lettre et dans notre « véritable bilan du CAC40 », qui suggère que les émissions de gaz à effet de serre déclarées par TotalEnergies seraient fortement sous-estimées. Alors que l’entreprise parle de 455 millions de tonnes émises annuellement (un chiffre déjà énorme), ses émissions réelles directes et indirectes seraient en réalité de 1,6 milliard de tonnes selon Greenpeace. La différence importante entre les émissions déclarées par TotalEnergies et celles de son homologue Shell avait mis la puce à l’oreille de l’ONG, qui a mis en lumière plusieurs biais de calculs ayant permis au groupe français de minimiser ses chiffres.

TotalEnergies réclame rien moins que la suppression de ce rapport et de toute mention de son existence sur les supports de communication de Greenpeace. Une demande de censure en bonne et due forme, destinée à intimider l’ensemble des critiques de TotalEnergies, et qui pose une question de fond : n’avons-nous pas droit à une information pluraliste et contradictoire sur les grandes entreprises et leur responsabilité en matière climatique ? Ou bien devrions-nous nous résigner à accepter comme vérité incontestable les chiffres et le « storytelling » de TotalEnergies ?

Un milliardaire qui sent le charbon et le gaz

Le milliardaire tchèque Daniel Křetínský a décidément les poches bien pleines. Après avoir (entre autres) acheté Marianne, Elle et Télé 7 jours, pris une part minoritaire dans Le Monde et TF1, accordé un prêt sans condition à Libération, soutenu le lancement de Franc Tireur et fait acte de candidature pour acquérir M6 (une vente finalement abandonnée), M. Křetínský est en négociations exclusives pour racheter le groupe Editis (Robert Laffont, Plon, Perrin, La Découverte, Le Cherche midi, Bordas, Nathan, 10/18...) à Bolloré, afin de permettre à ce dernier de racheter son concurrent Hachette. L’oligarque est également l’un des principaux actionnaires de Fnac-Darty et de Casino, et a même caressé un temps le rêve de racheter EDF !

Mais d’où lui vient tout cet argent ? Un rapport de l’ONG tchèque Re-Set montre qu’il est principalement issu de l’exploitation des énergies fossiles, et notamment du charbon et du gaz dont Daniel Křetínský est aujourd’hui l’un des principaux acteurs en Europe. Après avoir mis la main sur le groupe EPH grâce à des amitiés haut placées, il s’est lancé dans une stratégie d’acquisitions tous azimuts des mines et centrales charbon dont les entreprises d’Europe de l’Ouest voulaient se débarrasser pour soigner leur image climatique. Il a aussi basé sa fortune sur la gestion d’un gazoduc acheminant le gaz russe via la Slovaquie, qui a continué à fonctionner après l’invasion de l’Ukraine. S’il n’utilise pas (encore ?) son pouvoir médiatique pour discréditer la lutte contre le changement climatique en France, comme il le fait déjà en partie en Tchéquie, Daniel Křetínský parvient au moins à « blanchir » sa fortune en se posant en sauveteur de médias prestigieux.

Lire notre article.

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En bref

Les affaires de CMA-CGM avec la Syrie de Bachar Al-Assad. En mars dernier, un homme d’affaires syrien étroitement lié au régime de Bachar-el-Assad a fait son apparition au Quatrième sommet économique franco-arabe, où il a pris des selfies avec le président du Medef et la nouvelle patronne de Veolia... Revenant sur l’affaire, Mediapart montre comment une partie au moins du patronat français prépare une normalisation des relations avec le régime syrien, encore aujourd’hui objet de sanctions internationales. L’article pointe un groupe français en particulier : le transporteur CMA-CGM, très proche du pouvoir macroniste, qui n’a pas hésité à renouveler en 2019 sa concession sur le port de Lattaquié, même si cela impliquait de faire affaire avec le clan Assad et ses alliés.

Retour contrarié au Mozambique pour TotalEnergies. Il y a un peu plus de deux ans, face à l’avancée des insurgés jihadistes, TotalEnergies avait été contrainte de suspendre son gigantesque projet d’extraction de gaz offshore au large du Mozambique (lire notre article). Aujourd’hui, les violences se sont atténuées, et le président mozambicain a demandé officiellement au groupe français de revenir. Le patron de TotalEnergies Patrick Pouyanné, a répondu que son entreprise n’était pas pressée. En position de force, il réclame des assurances non seulement sur la sécurité des sites, mais aussi sur les coûts, ainsi que sur les « droits humains ». Le groupe pétrolier a missionné l’écrivain et ancien diplomate Jean-Christophe Rufin pour une mission d’évaluation à ce sujet. Ses conclusions n’ont jamais été rendues publiques, et pour cause : elles seraient très négatives. En attendant, Reporterre publie un reportage dans la province de Cabo Delgado. Une partie des habitants semble y souhaiter, faute de mieux, le retour de TotalEnergies, qui s’est « substitué à l’État » dans la province et reste synonyme d’opportunités économiques, aussi précaires soient-elles. Mais l’enquête montre aussi comment l’État mozambicain priorise la sécurité du site gazier sur celle des habitants.

Impunité des multinationales : un triste anniversaire. C’était il y a dix ans : l’effondrement de l’immeuble du Rana Plaza, dans la banlieue de Dhaka au Bangladesh, faisait plus de 1100 victimes, principalement des ouvrières textiles travaillant pour les grandes marques étrangères. Depuis, si certains progrès ont été accomplis, les questions de fond sur la responsabilité des multinationales et sur l’impact social et écologique de la « fast fashion » restent entières. L’un de ces progrès a été l’adoption de la loi française sur le devoir de vigilance (lire notre dossier), obtenue au terme d’une bataille de lobbying acharnée. Aujourd’hui, c’est au niveau de l’Union européenne que se discute un projet de directive sur le même sujet, là aussi sur fond de pressions des industriels. Le Parlement européen doit valider définitivement à la fin du mois sa proposition, qui devra encore passer par un processus compliqué de négociation avec des Etats membres, dont la France, beaucoup plus timides sur cette question.

Lobbyistes : stop au n’importe quoi On le sait, les lobbyistes de l’industrie aiment manier l’hyperbole. Dès qu’il est question d’introduire une nouvelle régulation sociale ou environnementale, ils nous annoncent, au choix, des milliers de suppressions d’emplois, des fermetures d’usines, des black-outs, ou encore une fuite massive des investisseurs et des talents. Pour la première fois, le Sénat a considéré qu’il ne fallait pas non plus raconter n’importe quoi. Suite à un signalement du sénateur Joël Labbé et de quatre associations (Amis de la Terre, Transparency, Foodwatch et Institut Veblen), son président a mis en demeure Phyteis, l’association des fabricants de pesticides, pour atteinte à la probité. Le lobby défendant les intérêts de BASF et Syngenta avait convaincu deux sénateurs de revenir sur l’interdiction de produire et exporter hors de l’UE des substances agrochimiques interdites sur son sol, en reprenant le chiffre avancé par Phyteis de 2700 emplois menacés. Problème : ce chiffre était si outrageusement exagéré que cela a fini par se remarquer.

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