14.09.2023 • Actus, revue de presse et liens

Sponsoring, remaniement et inflation - Lettre du 14 septembre 2023

Publié le 14 septembre 2023

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Bonne lecture

Un sport de voyous, pratiqué par des gentlemen (paraît-il), et sponsorisé... par des voyous ?

La Coupe du monde de rugby 2023, qui se déroule en France, a commencé officiellement vendredi dernier. Comme toutes les grandes manifestations de ce type, y compris les Jeux olympiques qui se dérouleront l’an prochain à Paris, l’événement est sponsorisé par une ribambelle de multinationales. Des groupes comme la Société générale, Capgemini ou encore la compagnie d’aviation Emirates en profitent pour se mettre en valeur.

Parmi ces sponsors, il est un qui retient particulièrement l’attention : TotalEnergies. Mis en cause de toutes parts pour sa responsabilité dans la crise climatique, critiqué pour les nouveaux projets pétroliers et gaziers qu’il est en train de lancer en Ouganda, au Mozambique ou encore en Papouasie Nouvelle-Guinée, le géant français n’a jamais lésiné sur ses dépenses de mécénat et de sponsoring pour se racheter une image (lire notre enquête Le Louvre et les grands musées sont-ils sous l’influence de l’industrie pétrolière ?).

Avec le monde de la culture et celui de la recherche, le sport est l’un des grands bénéficiaires de cette générosité intéressée. TotalEnergies est, entre autres, le sponsor de la Coupe d’Afrique des nations. Il était candidat pour l’être aussi aux Jeux olympiques de 2024, mais sa candidature aurait été retoquée par la Ville de Paris. Les organisateurs de la Coupe du monde de rugby n’ont pas eu les mêmes scrupules.

L’ONG Greenpeace a lancé une campagne – à travers notamment cette vidéo - pour dénoncer ce partenariat. Selon l’association écologiste, ce sponsoring ne sert pas seulement au groupe pétrolier à soigner son image, mais aussi son lobbying : « En tant que sponsor, mécène ou partenaire, TotalEnergies bénéficie de contreparties en nature, comme des invitations dans des loges officielles et des soirées, où ses représentants peuvent rencontrer des chefs d’État, des responsables politiques, des ambassadeurs ou des chefs d’entreprises. »

La Coupe du monde a débuté par un affrontement entre l’équipe de France et les All Blacks de Nouvelle-Zélande. Point commun entre ces deux équipes ? Elles sont toutes deux sponsorisées par la même entreprise, Altrad, leader mondial des équipements pour le BTP. Le groupe fondé par Mohed Altrad, 22e fortune française avec un patrimoine de plus de 5 milliard d’euros, a son siège social à Montpellier. Mohed Altrad est également président du club de rugby de la ville et un candidat malheureux aux dernières élections municipales.

Les contrats de sponsoring d’Altrad avaient déjà été épinglé lorsque le dirigeant du groupe a été condamné en décembre 2022 à 18 mois d’emprisonnement avec sursis, 50000€ d’amende et 2 ans d’inéligibilité pour corruption active, trafic d’influence et abus de biens sociaux, dans le cadre de l’affaire dite « Laporte-Altrad ». Selon le tribunal, la société Altrad avait rémunéré via une société Bernard Laporte, alors président de la Fédération française de rugby, en échange de faveurs pour le club montpelliérain. Bernard Laporte (condamné lui aussi à une peine légèrement supérieure), Mohed Altrad et le parquet national financier ont fait appel du jugement.

Aujourd’hui, c’est un autre front qui s’ouvre contre Altrad, au Royaume-Uni cette fois. En faisant l’acquisition de Cape en 2017, le groupe français a racheté une entreprise qui était historiquement l’un des principaux producteurs d’amiante de Grande-Bretagne. Suite à une procédure judiciaire, des documents ont été mis à jour qui montre que Cape, pourtant avertie du danger, a participé activement à minimiser les dangers de l’amiante auprès des travailleurs et du grand public. Une association britannique de victimes, l’Asbestos Victims Support Groups Forum UK, affirme avoir demandé à Altrad, au vu de sa responsabilité historique, de faire un don de 10 millions de livres sterling (11,6 millions d’euros) à la recherche sur le mésothéliome, ce que le groupe aurait refusé (lire l’article du Guardian).

Par comparaison, le contrat de sponsoring d’Altrad avec les All Blacks représente 66 millions d’euros, et celui avec l’équipe de France de rugby 35 millions d’euros. En Grande-Bretagne, pour éteindre les poursuites judiciaires, sa filiale Cape a accepté de contribuer à la compensation financière des victimes de l’amiante et de leur famille à hauteur de plusieurs dizaines de millions de livres sterling.

De la communication d’entreprise à la communication politique et inversement

Le 20 juillet dernier, Emmanuel Macron a procédé à un nouveau remaniement ministériel. La première ministre Elisabeth Borne et les principaux poids lourds du gouvernement ont été confortés à leur poste. De nouveaux ministres et secrétaires d’État sont arrivés, d’autres sont partis et pour certains ont déjà été recasés.

Un remaniement est également l’occasion d’importants renouvellements au sein des cabinets ministériels. Les mouvements de conseillers du public au privé ou inversement font rarement la une des médias, mais ils en disent tout aussi long sur la porosité des frontières entre l’État, les grandes entreprises et les organisations de lobbying que nous voulons mettre en lumière à travers notre initiative « Les portes tournantes », lancée avant l’été.

Comme le note Lora Verheecke dans un nouvel article publié sur notre site, cette circulation public-privé est particulièrement forte dans le secteur de la communication. La quasi totalité de conseillers en communication des ministres sont recrutés au sein des principales agences de la place parisienne, à commencer par Havas (propriété de Vincent Bolloré) et Publicis, qui comptent parmi leurs principaux clients les grands noms du CAC40. Ils finissent généralement par y retourner au bout de quelques années au gouvernement.

Ces mouvements de personnel permettent aux agences de communication et donc à leurs clients d’avoir des relais et des oreilles au sein des cabinets ministériels et donc de savoir à qui s’adresser à quel moment pour se faire entendre au sein de l’appareil d’État. Ils contribuent aussi à maintenir un effet de bulle et de culture partagée entre le gouvernement et le monde des affaires, où la différence entre communication politique et communication commerciale tend à s’estomper.

Lire l’article : Quand les communicants du privé envahissent le gouvernement

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En bref

Superprofits, saison 3. Les groupes du CAC40 ont annoncé des bénéfices record de plus de 80 milliards d’euros pour la première moitié de l’année 2023, soit 8 milliards de plus qu’au premier semestre 2022 (lire l’analyse que nous en avions fait il y a un an). C’est le signe que la vague des « superprofits » n’est pas encore derrière nous. Ce qui n’a pas empêché le quotidien économique Les Echos de crier misère sous prétexte que la croissance des profits aurait ralenti par rapport à 2021 et 2022 et qu’elle est supérieure à la croissance du chiffre d’affaires du CAC40 sur la même période (ce que l’on pourrait interpréter comme le signe que les groupes français continuent à augmenter leurs marges). De la même manière que les prix à la consommation ne risquent pas de revenir à leur niveau antérieur et pourraient même continuer à augmenter durablement, les grands groupes français ne seront pas forcément enclins à revenir sur les taux de profitabilité qu’ils se sont ménagés à la faveur des crises récentes. Rendez-vous à la fin de l’année pour faire le bilan annuel de la saison 3 des superprofits, et en attendant vous pouvez (re)lire le livre Superprofiteurs que nous avons publié avec Attac France il y a quelques mois.

Inflation de lobbying chez les « Big Tech ». Ciblés par plusieurs législations européennes, les GAFAM continuent d’intensifier leur campagne d’influence à Bruxelles. Selon LobbyControl et Corporate Europe Observatory, le secteur des Big Tech a dépensé pas moins de 113 millions d’euros en lobbying auprès de l’Union européenne en 2022, une augmentation de 20% par rapport à 2021. Meta, la maison mère de Facebook, et Apple sont respectivement numéro un et numéro deux des dépenses de lobbying à Bruxelles tous secteurs confondus. Et en France ? Dans notre rapport GAFAM Nation de décembre 2022, nous avions montré que les filiales françaises des Big Tech ont déclaré au total en 2021 la somme de 4 075 000 euros de dépenses dédiées à des activités de lobbying en France, contre 1 350 000 euros en 2017, soit une multiplication par 3. Pour 2022, ces dépenses ont encore augmenté, pour passer à 4,85 millions d’euros. Ils ont déclaré 94 activités de lobbying, contre 72 en 2021. Vous avez dit inflation ?

Carrefour se lave les mains des violences racistes. Le Brésil est un marché stratégique pour le géant français de la grande distribution. Son histoire récente dans le pays est marquée par une succession d’affaires de violences racistes – dont une mortelle en 2020 - et de discriminations visant des personnes noires, de la part d’employés et d’agents de sécurité du groupe. Malgré les scandales répétés et les réprimandes du président Lula, la direction de Carrefour au Brésil et en France continue à ignorer superbement le problème. « Faire l’autruche sur la question du racisme, c’est quelque chose d’habituel et qui est profondément ancré au sein des entreprises françaises », commente le chercheur Hicham Benaissa. Enquête de Blast à lire ici et à visionner .

Cuisine interne. Le rapport d’activités 2022/2023 est désormais disponible sur notre site. Tout ce que vous vouliez sur notre Observatoire, ses missions, son histoire, son fonctionnement, ses priorités, sont organisation et ses finances à découvrir ici.

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