12.02.2020 • Prix Pinocchio

Le patron de Lactalis a vu sa fortune doubler grâce à la libéralisation du lait et aux accords de libre-échange

Optimisation fiscale au Luxembourg et en Belgique, lait contaminé, conflits et rétorsions contre les éleveurs, pollutions... Les scandales se succèdent depuis quelques années pour Lactalis. Mais cela n’affecte pas la fortune de son PDG Emmanuel Besnier, estimée à quelques 12 milliards d’euros. Le groupe est nominé au prix Pinocchio « spécial agriculture ».

Publié le 12 février 2020 , par Olivier Petitjean

Les États-Unis ont Google, Facebook et Amazon ; la France a son industrie du luxe et son agriculture. Dans les deux cas, les recettes sont en partie les mêmes : la concentration et la création de monopoles géants font la fortune de quelques richissimes hommes d’affaires, dont les groupes s’accaparent les revenus de leur secteur d’activité, au détriment des autres acteurs économiques ou de leurs fournisseurs. Si la fortune de Bernard Arnault et des autres super-riches du luxe s’est accrue ces dernières années, c’est en grande partie à cause de l’envolée du cours boursier de LVMH, Kering ou Hermès, qui pourrait très bien un jour se retourner. Rien de tel pour celle d’Emmanuel Besnier, le patron de Lactalis. Ce géant agroalimentaire français, numéro un mondial du lait depuis 2011, n’est même pas coté sur les marchés financiers. Ce qui n’empêche pas son dirigeant de pointer à la neuvième place des fortunes françaises selon Challenges avec 12 milliards d’euros en 2019 (voire la septième selon Forbes avec 12,6 milliards). Son frère et sa sœur figurent aussi en bonne place dans ces classements.

Cette « success story » est due en grande partie à la position dominante progressivement acquise par Lactalis sur le marché du lait. Propriétaire des marques Président, Salakis, Lactel, Société, ou encore Galbani, le groupe est désormais présent aux quatre coins du monde. Il collecte presque un quart du lait produit en France (5,5 milliards de litres en 2018, et 19,4 milliards de litres au niveau mondial). Cette prépondérance lui a permis de profiter à plein de la libéralisation du marché laitier européen en 2014. Depuis cette date, la fortune d’Emmanuel Besnier a presque doublé, tandis que le prix du lait et les revenus baissaient ou stagnaient, provoquant un élan de révolte chez les éleveurs et la disparition de nombreuses petites exploitations (lire l’analyse que nous en avions fait en 2018 : En pleine crise de l’élevage, les grandes familles du lait plus prospères que jamais et l’infographie ci-dessous). Le groupe ne compte pas s’arrêter en si bon chemin puisqu’il est l’un des principaux promoteurs et bénéficiaires des accords de libre-échange avec le Canada et le Mercosur, et peut-être demain avec les États-Unis. Des accords sont précisément accusés de profiter d’abord aux gros acteurs, et de nuire aux plus petits, exposés à une pression encore plus féroce à la baisse des prix.

Comme d’autres grands groupes familiaux, Lactalis a longtemps été réputé pour sa discrétion. Ne pas être coté en bourse empêche certes de surfer sur l’euphorie des marchés financiers, mais cela évite au moins d’avoir à divulguer au public trop d’informations sur ses activités. Le groupe a été dénoncé pour ses pratiques fiscales, notamment au sein de sa filiale belge BSA à travers laquelle elle a mené son expansion internationale, ou de filiales au Luxembourg. La Confédération paysanne a mené sa propre enquête sur les comptes de Lactalis et transmis le résultat de ses investigations au Parquet national financier début 2019, avant d’attaquer directement le groupe en justice en octobre pour le forcer à publier les comptes de la société mère.

Une image de plus en plus écornée

Pourtant, les scandales ont commencé à s’accumuler ces dernières années, écornant sérieusement l’image de l’entreprise laitière et de son dirigeant. Pour le grand public, c’est d’abord l’affaire du lait contaminé de 2017-2018. Lactalis a dû fermer temporairement son usine de Craon en Mayenne et rappeler ses produits après des cas de contamination à la salmonelle de laits infantiles. Plusieurs contaminations similaires avaient été signalées dans l’usine au cours des années précédentes, sans qu’il y soit porté remède. Selon l’Institut Pasteur, 204 bébés auraient été intoxiqués à la salmonelle entre 2005 et 2017 du fait de ces défaillances. Lactalis est sous le coup de plusieurs procédures pour cette affaire.

Les éleveurs laitiers, quant à eux, évoqueront plutôt les pressions pour faire baisser les prix, les contrats d’approvisionnement fixant des conditions draconiennes, les rétorsions contre les producteurs qui osent témoigner sur les pratiques de Lactalis, comme ceux interrogés par le magazine « Envoyé Spécial » en 2016. Ou encore le lancement de produits pasteurisés comme le « camembert de campagne Président » ou le « Bleu de brebis » Société entretenant délibérément la confusion avec les produits au lait cru, sous appellation d’origine contrôlée.

Bref, Lactalis est l’exemple même de ces grands groupes qui, de plus en plus, tiennent les manettes du secteur agricole français, s’abritant derrière l’image de petits paysans victimes d’« agri-bashing » pour promouvoir un modèle toujours plus inéquitable et toujours plus nocif pour l’environnement.

C’est pourquoi la multinationale basée à Laval a été nominée aux prix Pinocchio spécial « agriculture », organisés par les Amis de la Terre France et la Confédération paysanne. Les votes sont ouverts jusqu’au 19 février sur le site prix-pinocchio.org.

Olivier Petitjean

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Photo : Santi Molina CC BY-NC-ND via flickr

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