12.01.2021 • La lettre du 12 janvier

2021 : on prend les mêmes et on recommence ?

L’équipe de l’Observatoire des multinationales vous adresse ses meilleurs vœux. Voici la première édition de notre lettre pour cette nouvelle année. Au menu : corona-profiteurs, Trump et Biden, cabinets de consultants, pollution plastique, portes tournantes et lobbying au coeur de l’État.

Publié le 12 janvier 2021

Cherchez l’erreur

Sanofi, Schneider Electric, Total, Danone... et maintenant Michelin. Point commun ? Ces poids lourds du CAC40 ont bénéficié de multiples formes d’aides publiques à l’occasion de la pandémie de coronavirus (en plus de celles dont elles bénéficiaient déjà avant, comme le CICE ou le crédit impôt recherche). Ils ont maintenu tout ou partie de leurs dividendes, versant à leurs actionnaires des centaines de millions voire des milliards d’euros. Et ils ont annoncé des destructions massives d’emplois en France et dans le monde. Une mécanique délétère que nous avions mise en lumière dans notre rapport Allô Bercy ? Aides publiques : les corona-profiteurs du CAC40.

Le fabricant de pneus est donc le dernier « champion français » en date à mettre le gouvernement face à ses impasses, en annonçant la disparition de 2300 postes, soit plus de 10% de son effectif en France. Michelin assure que ces suppressions se feront « sans départs contraints », c’est-à-dire via des retraites anticipées ou des ruptures conventionnelles (facilitées par les récentes modifications du code du travail). Le groupe précise également que cette décision, en préparation depuis plusieurs mois, n’est pas liée à la situation sanitaire.

De fait, Michelin devrait continuer à afficher un résultat positif en 2020 malgré la crise. Comme pour beaucoup d’autres groupes du CAC40, les suppressions d’emploi annoncées en France s’inscrivent dans une tendance de fond, à l’oeuvre depuis des années voire depuis des décennies. Le fabricant de pneumatiques a déjà supprimé 1500 emplois en son sein depuis 2017, notamment en France.

En ce qui concerne les dirigeants de Michelin, les priorités sont claires. Après avoir distribué 357 millions d’euros à ses actionnaires au printemps dernier, le groupe a annulé en octobre plus d’un million de ses actions autodétenues pour gonfler son cours en bourse, ce qui lui a permis de retrouver son niveau d’avant la crise. Tout bénéfice pour ses principaux actionnaires : la famille Michelin, BlackRock et la Caisse des dépôts, une institution financière publique. Parallèlement, Michelin a empoché sans sourciller plusieurs millions d’euros au titre du chômage partiel en 2020, et bénéficiera de la baisse des « impôts de production » de 20 milliards d’euros prévue dans le plan de relance. Cette mesure, une vieille revendication patronale, était présentée comme une contribution à la « compétitivité » de l’industrie française... qui n’aura manifestement pas suffi à protéger les emplois en question.

Michelin promet de compenser ces suppressions de postes par de nouvelles créations grâce à des « relocalisations » dans des activités « à haute valeur ajoutée » comme l’hydrogène. On peut soupçonner que si ces nouveaux emplois voient bien le jour, ce sera – à nouveau – moyennant des aides publiques massives. À quand le changement de logiciel ?

 

De Trump à Biden

La crise démocratique que traversent les États-Unis va-t-elle changer quelque chose aux liens étroits qui se sont noués depuis des décennies entre monde politique et grandes entreprises ? Va-t-elle obliger à mettre enfin de l’ordre dans le financement de la vie politique américaine ? Dès avant l’invasion du Capitole la semaine dernière par des supporteurs de Donald Trump, plusieurs leaders économiques proches des Républicains – dont certains avaient même financé la campagne de Donald Trump, comme le patron du fonds Blackstone, dont nous parlions dans cet article – s’étaient désolidarisés des accusations de fraude électorale et avaient exigé une transition pacifique. Depuis les événements du 6 janvier, ces appels n’ont fait que s’amplifier. Certains grands patrons n’hésitent plus à soutenir explicitement les efforts d’impeachment du président sortant. Et ces appels vont désormais au-delà de la seule personne de Donald Trump. En ligne de mire, notamment, les sénateurs qui ont cherché à bloquer la certification des résultats de l’élection présidentielle, comme Ted Cruz ou Josh Hawley.

Certaines grandes entreprises, comme le groupe hôtelier Marriott, ont annoncé qu’elles cesseraient toute donation, dans le cadre de leur « political action committees » (PACs), aux sénateurs incriminés . D’autres firmes ont déclaré qu’elles étaient en train de réévaluer leurs soutiens. Les banques Goldman Sachs, Citigroup et JP Morgan ont suspendu toute donation politique.

On notera au passage que deux groupes français, Airbus et Vivendi, ont financé cette année via leurs PACs des sénateurs qui se sont opposés à la certification de l’élection, Cindy Hyde-Smith et John Kennedy respectivement.

Faut-il y voir le signe d’un réel changement ? Tout d’abord, il ne s’agit généralement que de « pauses » ou de « réévaluations », et il y a un risque réel que les affaires reprennent comme avant une fois l’émotion retombée. Ensuite, il y a d’autres moyens que les PACs pour les entreprises et leurs dirigeants de financer des hommes politiques. Enfin et surtout, ces désolidarisations de dernière minute – tout comme les décisions de Facebook, Twitter et autres de couper les moyens d’expression de Donald Trump - ne font qu’acter que le vent a tourné. Les grandes entreprises et les milieux d’affaires ont fermé les yeux sur les tendances fascisantes du président sortant tant qu’ils en tiraient bénéfice, à travers baisses d’impôts et dérégulations. Leurs regards se tournent désormais vers la présidence de Joe Biden et les moyens d’en profiter, ou au moins de préserver leurs acquis.

 

« Défaillance organisée de l’État », le retour

On prend les mêmes et on recommence. Alors que les critiques fusaient de toutes parts sur les retards de la campagne de vaccination en France, on a appris par le Canard enchaîné et Politico que le gouvernement était « conseillé » pour sa mise en œuvre par le cabinet McKinsey.

En juin dernier, à l’occasion de la parution de notre rapport Lobbying : l’épidémie cachée, nous avions révélé l’omniprésence de ces cabinets de conseil – McKinsey, mais aussi Capgemini, BCG ou encore Bain – dans la gestion de l’épidémie. Comme nous le disions alors, ces consultants « sont à la fois les artisans et les profiteurs de la ’réforme de l’État’, selon l’euphémisme en vigueur pour désigner les politiques de réduction du nombre de fonctionnaires et de repli du secteur public. C’est-à-dire ces politiques mêmes qui apparaissent aujourd’hui comme l’une des principales causes des carences constatées face au Covid-19. Les firmes qui ont accompagné, voire encouragé les politiques d’austérité et de suppressions d’emploi dans la fonction publique se voient aujourd’hui confier la mission de pallier les défaillances qui en résultent. Et les résultats ne semblent pas, en l’occurrence, très probants » (lire notre article Covid-19 : ces consultants au cœur de la « défaillance organisée » de l’État).

Il ne s’agit évidemment pas de dire que McKinsey serait le seul responsable des difficultés rencontrées ces dernières semaines. Mais sa présence apparaît comme le symptôme de la gestion hors sol qui s’est installée au sommet de l’État. Une leçon à retenir alors qu’on s’est empressé à l’Élysée d’accuser les « lourdeurs de l’administration ». De manière symptomatique, l’une des raisons du choix de McKinsey semble avoir été la capacité de ce cabinet à comparer la « performance » de la France en matière de vaccination par rapport à ses voisins comme l’Allemagne. À force de se préoccuper de la manière dont sa « performance » serait perçue, le gouvernement semble avoir oublié la réalité du terrain, et négligé de faire appel aux compétences logistiques qu’il avait pourtant à sa disposition.

Selon les informations récoltées par la presse, entre 15 et 25 consultants de McKinsey seraient mobilisés au sein du ministère de la Santé pour accompagner la campagne de vaccination, pour un montant de 2 millions d’euros par mois. L’un de ces consultants est un proche d’Alain Juppé et de l’Institut Montaigne, directeur financier d’une firme de biotechnologie, Maël de Calan. Selon le site spécialisé Consultor, d’autres cabinets de conseil sont également réunérés pour accompagner la campagne de vaccination : Accenture, Citwell et JLL. Pourquoi se priver ?

 

En bref

* 1700 milliards de dollars pour la pollution plastique. Les militants du climat et des droits humains dénoncent depuis longtemps le rôle des grandes banques dans le financement des projets d’hydrocarbures ou encore de l’huile de palme. Ils ont obtenu ces dernières années certains engagements (pas toujours très concluants) des géants de la finance – y compris les français BNP Paribas, Société Générale ou Crédit agricole - pour réduire leurs impacts négatifs sur la planète. Mais quid de leur contribution à l’envahissement du monde par le plastique ? Selon une étude de l’initiative portfolio.earth, les grandes banques mondiales ont soutenu l’industrie du plastique à hauteur de 1700 milliards de dollars entre janvier 2015 et septembre 2019. Seulement vingt banques représentent 80% de ces financements, dont BNP Paribas (9e) et SocGen (13e). En tête du classement, on trouve les géants américains Bank of America, Citigroup et JP Morgan. L’étude ne prend en compte que les financements accordés à 40 firmes clés de l’industrie du plastique : pétrochimistes, fabricants d’emballages, industrie agroalimentaire (dont Danone) et grande distribution.

* Qui régule les régulateurs ? La semaine dernière, le président Emmanuel Macron a nommé Laure de la Raudière à la tête de l’Arcep, l’autorité indépendante en charge du secteur des télécoms et des services postaux. Ce choix (qui doit être validé par l’Assemblée et le Sénat) a fait jaser au vu du profil de l’intéressée. Députée proche de Bruno Le Maire, Laure de la Raudière a travaillé pendant une quinzaine d’années pour … Orange, soit l’une des principales entreprises qu’elle aura la charge de « réguler ». Xavier Niel, patron de Free, un autre des « régulés » de l’Arcep, s’est publiquement opposé à cette nomination, se déclarant même « pas sûr que Donald Trump lui-même aurait osé faire un truc pareil aux États-Unis ». Il faut dire que Laure de la Raudière avait présidé en 2013 une mission parlementaire aux conclusions très critiques sur l’arrivée de Free sur le marché des télécoms, qui avait dérangé les positions établies des trois opérateurs dominants. Si cette nomination a attiré l’attention, les « portes tournantes » entre régulateurs et régulés sont depuis longtemps la norme dans le secteur des télécoms comme dans beaucoup d’autres en France (finance, énergie...). Le directeur exécutif de la Fédération française des télécoms, Michel Combot, le principal interlocuteur de l’Arcep, a lui-même travaillé deux ans pour cette autorité indépendante, avant de rejoindre le CSA puis le secteur privé. En 2017, un autre dirigeant de l’Arcep, Benoît Loutrel, avait créé la polémique en allant pantoufler chez Google.

* Le Conseil d’État face aux lobbys. C’est l’une des institutions les plus importantes de la Ve République, chargée à la fois de conseiller le gouvernement dans l’élaboration de la loi, et d’encadrer l’action publique et administrative. Le Conseil d’État est donc aussi, inévitablement, une cible de lobbying. L’Observatoire des multinationales avait montré comment il avait contribué à amoindrir les ambitions de la loi Hulot sur la fin des hydrocarbures (lire notre enquête avec les Amis de la Terre « Les Sages sous influence ? », ainsi que notre article de suivi sur les documents finalement rendus publics par le Conseil d’État). À l’heure actuelle, on ne sait presque rien du lobbying qui s’exerce sur la vénérable institution, sinon des échos occasionnels comme ses relations avec l’Institut pour la gestion déléguée, lobby pro-privatisation, ou tel cabinet de lobbying indiquant ingénument avoir contacté le Conseil pour le compte de la plateforme de livraison de repas Deliveroo. Le dernier exemple en date – celui d’une fondation d’entreprise non identifiée qui s’est vantée publiquement d’avoir défendu ses intérêts auprès des juges du Palais-Royal – a fini par pousser le Conseil d’État à réagit. Dans un avis de décembre 2020, son collège de déontologie propose un certain nombre de règles pour encadrer ses relations avec les lobbyistes et les rendre plus transparentes. Alors que le Conseil d’État examine en ce moment même le projet de loi faisant suite à la Convention citoyenne sur le climat, objet d’intenses batailles de lobbying depuis plusieurs semaines, on aimerait que ces nouvelles velléités de transparence se traduisent rapidement en actes.

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